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HISTOIRE DES SCIENCES

d’être mieux en mesure de fuir clandestinement, si les circonstances l’exigeaient. Cependant il sollicitait la permission d’aller soigner sa santé en France ; Frédéric répondait en lui envoyant des médicamens. Voltaire déclarait que les eaux de Plombières lui étaient nécessaires ; le roi assurait qu’il y en avait de bien meilleures à Glatz, en Moravie. L’autorisation finit pourtant par être accordée, et le philosophe alla prendre congé de son maître. Il fut reçu avec amitié, et passa six jours à Potsdam, pendant lesquels il soupa tous les soirs avec Frédéric. C’étaient, disait-il, « des soupers de Damoclès. » Enfin le 26 mars 1753 il put prendre la route de Leipzig, non sans avoir promis de revenir quand les eaux de Plombières l’auraient guéri ; mais c’était là une promesse qu’il se proposait bien de ne pas tenir. Aussi se donna-t-il le plaisir de lancer à Maupertuis la flèche du Parthe : c’était le projet comique d’un Traité de paix à conclure entre le président de l’Académie de Berlin et le professeur Kœnig ; toutes les plaisanteries de la Diatribe y étaient répétées. Il s’éloigna d’ailleurs à petites journées, et s’arrêta trois semaines à Leipzig pour prendre le temps de se concerter avec ses amis de Paris et avec sa nièce, Mme  Denis.

C’est pendant ce séjour à Leipzig qu’il reçut une espèce de cartel de Maupertuis, dont le Traité de paix avait ravivé la colère. Il y répondit en faisant mettre dans les papiers publics un avertissement grotesque ; il invitait les autorités municipales à le protéger contre son ennemi, dont il donnait le signalement en ces termes : « C’est un philosophe qui marche en raison directe de l’air distrait et de l’air précipité, l’œil rond et petit, la perruque de travers, le nez écrasé, la physionomie mauvaise, ayant le visage plat et l’esprit plein de lui-même, portant toujours scalpel en poche pour disséquer les gens de haute taille. Ceux qui en donneront connaissance auront mille ducats de récompense, assignés sur les fonds de la ville latine que ledit quidam fait bâtir. » C’est sans doute à cette dernière incartade qu’est due, au moins en partie, la misérable et ridicule affaire de Francfort-sur-le-Mein. On sait comment Voltaire, après avoir encore séjourné quelques semaines à la cour de la grande-duchesse de Saxe-Gotha, « la meilleure princesse de la terre, la plus douce, la plus sage, la plus égale, et qui, Dieu merci, ne faisait pas de vers, » fut, à son passage à Francfort, arrêté par un agent subalterne du roi de Prusse. C’était un nommé Freytag, banni de Dresde, s’il faut en croire Voltaire, « après y avoir été mis au carcan et condamné à la brouette, devenu depuis agent du roi de Prusse, qui se servait volontiers de tels ministres, parce qu’ils n’avaient de gage que ce qu’ils pouvaient attraper aux passans. » Freytag réclamait à son prisonnier la croix du Mérite, la clé de