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Nous ne soyons pas grand’chose à signaler dans sa première adolescence, si ce n’est qu’il s’éprit d’un amour d’écolier pour une petite fille du voisinage, que la bonne tante dut intervenir pour calmer cette passion prématurée, et que le démon des vers commença dès lors à le tourmenter en compagnie d’un jeune Brabançon qui sacrifiait déjà depuis quelque temps au dieu de la poésie.

Après quatre ans d’école à Zierikzée, Cats fut envoyé à Leyde pour s’y perfectionner dans les langues mortes et étudier le droit. Il eut le malheur d’écouter les conseils de gens positifs qui le détournèrent d’approfondir les lettres grecques, en lui certifiant qu’elles ne lui seraient d’aucune utilité pour l’exercice de la jurisprudence : il s’en repentit tout le reste de sa vie. L’université de Leyde était alors dans sa fleur, une fleur qui promettait une riche moisson. On sait qu’elle fut fondée dans ses murs par le Taciturne en récompense de l’héroïque défense des habitans lors du fameux siège que les Espagnols furent forcés de lever. Des professeurs d’un grand mérite y avaient été appelés, et Cats aima toujours à vanter l’excellence des leçons qu’il y reçut. Il y fit aussi plus d’une expérience. Lui-même nous raconte à sa manière naïve, quelque peu triviale, mais relevée par l’entrain et la malice narquoise qui lui est propre, une de ses premières découvertes sur le domaine du cœur humain, et, pourrions-nous ajouter, du cœur féminin. Il partageait avec quelques autres étudians une grande chambre servant à la fois de dortoir et de salle d’étude. Les maîtres de la maison fournissaient le vivre avec le couvert. Or l’hôtesse, femme du reste avisée, avait commis l’imprudence d’engager une jeune servante « de doux visage, de manières gentilles, et qui parlait français ! » Nos jeunes gens trouvaient très agréable de converser avec cette jeune savante, supérieure à sa condition sociale par son éducation, et quand elle paraissait dans la chambre, adieu livres et cahiers, on se mettait à jaser, à chanter, à jouer de la viole ou de la guitare.


« L’ami, dit à ce propos le vieux Cats, si tu aimes les livres, — détourne les yeux des fichus blancs; — car que le feu prenne au lin ou près du lin, — c’est merveille que le lin reste ce qu’il était auparavant. »


La dame du logis s’aperçut à temps du danger, congédia la trop jolie servante, et eut soin d’en prendre une autre dont « la trogne rappelait celle de Méduse. » Les jeunes gens firent mauvaise mine à la nouvelle venue. Celle-ci, dépitée, voulut se venger. Elle leur raconta un beau jour qu’elle avait rencontré au marché l’ancienne camériste, pâle, désolée, s’attendant à devenir bientôt mère, mais comptant bien que le père coupable penserait à l’entretien de son