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des jacinthes, ces belles fleurs de salon qui, dès la fin de l’hiver, réjouissent de leurs vives couleurs les chambres encore calfeutrées contre les rafales du nord. L’un des premiers, il s’est aperçu que l’homme du nord peut compenser par le commerce et le savoir-faire ce que la nature lui refuse, et même se procurer plus de bien-être que les habitans d’une région méridionale où l’on ne peut consommer que les produits du sol.


« Remercie librement le grand Dieu, ô libre Néerlande… Tout ce qui croît au loin, tout ce qui pousse sur la terre, la mer fait tout affluer dans tes ports… Notre sol ne connaît point le moût ni les grappes dorées des pays où le soleil darde ses rayons brûlans, et pourtant, le long de tes côtes, on a du moût, on a du vin tant qu’on veut. Tout ce que donnent le Neckar et les vallées de France, tout ce que produit Madère vient s’épancher dans tes coupes. Ce n’est point chez toi qu’on empile dans des caisses les monceaux de figues bleuâtres, et pourtant elles viennent se ranger sur tes tables. Dieu fait naître l’Espagnol lui-même avec l’idée que c’est chez toi qu’il faut expédier les plus beaux fruits, et plus d’un peuple endure les ardeurs de l’été pour t’envoyer sa vendange… Nos prairies ne voient pas croître la canne à sucre, mais nos enfans ont plus de sucre qu’ils n’en peuvent manger. Les produits des Indes, le poivre, le girofle, la cannelle, la muscade, s’entassent comme le blé dans tes greniers. La Chine seule sait cuire ses porcelaines et les travailler des années entières, à ce qu’on dit ; mais c’est ici qu’on trouve la plus fine pâte jusque chez la femme du marin, jusque chez un simple batelier. Nous n’avons pas d’esclaves souterrains qui fouillent les antres profonds pour en arracher le cuivre et le fer ; c’est pourtant notre peuple qui fond les grandes pièces et qui perce les plus épaisses murailles avec les canons qu’il a creusés. Nos forêts ignorent ces arbres immenses dont on fait les grands mâts de vaisseau ; nous n’en avons pas moins plus de voiles au vent que jamais potentat n’en a eu sur la mer… On dirait que notre pays va s’enfoncer dans l’eau, et pourtant personne parmi nous n’en veut boire. L’eau, c’est trop cru, c’est froid à l’estomac, et nous préférons notre boisson d’orge, qui désaltère si bien. »


Et cela continue sur ce ton. Ce point de vue, de nos jours, est devenu banal ; alors il était nouveau, il dénotait un grave changement qui s’opérait insensiblement dans l’équilibre des forces entre le nord et le midi de l’Europe. Dans l’antiquité, la civilisation réside au midi ; l’homme du nord, quand il ose, se rue sur les pays aimés du soleil ; mais chez lui il végète, il vit misérablement, toujours en guerre avec une nature marâtre : son esprit dort dans son robuste corps, et ses rares plaisirs consistent uniquement dans de grossières jouissances. Il en est encore à peu près de même durant