Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/437

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce n’est point un marais, ce n’est point une prairie, ce n’est point une lande, ce n’est point une suite de champs plus ou moins cultivés; non, ce n’est rien de tout cela, c’est la Brière. La Brière cependant n’offre pas toujours le même aspect; elle se métamorphose radicalement une fois l’année, ou plutôt elle disparaît pendant sept ou huit mois consécutifs. L’été, c’est une immense plaine gazonnée d’environ 8,000 hectares, ayant à peu près la forme d’un coing allongé. L’hiver, ce terrain ne forme plus qu’un lac où l’eau n’a pas moins, en moyenne, d’un mètre de profondeur, où surnage à peine dans le lointain, comme une barque abandonnée, une petite éminence presque imperceptible. Que pas un arbre ne grandisse, que pas une habitation ne s’élève dans la Brière, on le devine sans peine; mais, si l’on s’imaginait que le mouvement et la vie manquent sur cette monotone étendue, on serait dans une complète erreur. La Brière est entourée de populeux villages dont les habitans, désignés communément sous le nom de Briérons, s’occupent sans cesse de l’exploiter l’été et l’hiver, de telle sorte qu’il y règne une animation constante et par momens tout à fait extraordinaire.

La tourbe forme la base des exploitations dont la Grande-Brière est l’objet. C’est au centre que le fond tourbeux est le plus riche; il s’appauvrit au contraire peu à peu, à mesure qu’on se rapproche des contours. Comme l’indique la qualification de mottière, la tourbe sert à fabriquer des mottes destinées au chauffage. On n’est pas obligé de fouiller profondément pour trouver le combustible ; au-dessous de 30 ou 40 centimètres de terre noirâtre s’étend la couche tourbeuse, qui a environ 2 mètres d’épaisseur. L’opération est des plus simples : on trace sur le sol un carré, et après en avoir enlevé la superficie, on taille chaque motte d’un coup de bêche.

Il va de soi que le tourbage, comme on dit dans le pays, ne peut se pratiquer que l’été. L’époque en est très strictement déterminée, afin de prévenir l’épuisement des gîtes. Pendant le délai fixé, le sol briéron n’est plus qu’une vaste fourmilière humaine. Les villages environnans sont désertés, toute la population se précipite dans la Brière comme un torrent. Les ouvriers du pays qui travaillent au loin quittent leur besogne pour venir prendre leur part de la moisson souterraine. Une fois que la tourbe est extraite, certaines opérations complémentaires, ne demandant plus qu’un petit nombre de bras, prolongent quelque temps encore le labeur sur place. Le séchage des mottes devient la principale affaire. On les dispose en forme de pyramides à hauteur d’appui, qu’on nomme chandeliers, à travers lesquels on ménage des jours pour assurer la libre circulation de l’air. On dirait, suivant la distance d’où on les regarde, tantôt d’énormes candélabres d’église, tantôt d’épais troupeaux de moutons noirs.