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S’il faut la sécheresse de l’été pour l’extraction de la tourbe, l’inondation de l’hiver est indispensable pour l’enlèvement des mottes. Alors nouvel aspect. La vaste étendue d’eau est sillonnée de bateaux plats très allongés, nommés blains, dont l’origine paraît extrêmement ancienne. Faciles à manœuvrer, n’ayant qu’un faible tirant d’eau, ces barques, qui peuvent porter jusqu’à 15,000 mottes, commencent leur service au mois de novembre. Quand elles ont reçu la charge voulue, elles descendent par la petite rivière du Brivet, qui longe la Brière à l’est, jusqu’à Rozée, et de Là, par l’étier de Méans, jusqu’à la Loire, où la marchandise est portée sur des chaloupes. Plus de 20,000 tonnes de mottes sont exportées tous les ans de cette façon en grande partie pour Nantes. Dans le pays même, et jusque sur les terrains sablonneux des rivages de la mer, où le bois est si rare, on ne connaît guère d’autre mode de chauffage. Pour le commerce local, les mottes passent immédiatement des blains sur des charrettes qui s’en vont les vendre de porte en porte dans les villes et les hameaux. Ce combustible brûle lentement, tout en dégageant une forte chaleur. Le bon marché fait passer par-dessus l’inconvénient de l’odeur assez prononcée qui s’en dégage, mais à laquelle on s’accoutume promptement. Les mottes ne coûtent sur le lieu de production que 2 francs 50 centimes le mille (1 mètre cube environ). Quoique le transport en triple à peu près le prix sur la place de Nantes, l’économie est encore assez notable pour expliquer la préférence des consommateurs.

Le fond tourbeux est-il destiné à s’épuiser ici quelque jour, ou bien, comme sur d’autres points de la France, la tourbe se recompose-t-elle plus ou moins lentement d’elle-même? Curieuse question de géologie encore entourée de nuages. Que la Brière ait dû se former à une époque indéterminée qu’on fait remonter à huit ou neuf siècles par suite de l’affaissement d’un sol couvert d’épaisses forêts, le fait en lui-même paraît certain. La preuve matérielle en est là sous les yeux, dans ces troncs d’arbres parfois énormes, souvent encore munis de racines et de branches desséchées, qu’on retire journellement des entrailles du sol, et qui se sont assez bien conservés pour qu’on les emploie dans les constructions domestiques. On ne saurait faire un pas dans la Brière sans rencontrer de tels vestiges. Ces détritus végétaux, ces débris de forêts accumulés depuis des siècles, ont été lentement transformés en se mélangeant à la terre où ils s’étaient engloutis. Jusque-là, point de discussion; mais ceux qui croient que le fonds tourbeux est destiné à s’épuiser cherchent dans ce fait la preuve que la quantité de tourbe est essentiellement limitée dans la Brière, et que l’exploitation cessera forcément à une époque plus ou moins éloi-