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là, on les dédaigne le plus souvent. Aux véhicules roulant sur la terre ferme, on préfère de beaucoup les transports en bateau. La barque que chaque habitation possède en est, comme à Venise la gondole, un indispensable appendice. Les villages se signalent au loin par une rangée circulaire de grands ormes plantés sur les bords du fossé, et qui sont à peu près du reste les seuls arbres de la contrée. Tout auprès s’élèvent les maisons, décrivant elles-mêmes un second cercle. Ajoutez-en un troisième formé par une rue grâce à laquelle les maisons communiquent, et dont l’état, de même que celui des ponts, laisse toujours plus ou moins à désirer, placez ensuite les terres labourables au milieu, et vous avez le plan de tous les îlots. L’imaginaire Salente n’était pas plus méthodiquement ordonnée. Les maisons, au lieu d’être contiguës, sont séparées les unes des autres par un petit jardin où croissent quelques fleurs et quelques légumes. On n’a point de basse-cour, mais d’ordinaire chaque habitation possède une étable renfermant le bétail, des vaches surtout, et plusieurs moutons. Quelques fermiers ont des bœufs qu’ils prêtent à leurs voisins pour le labourage en retour d’autres services au moment des récoltes. Le pays ne fournit pas en blé la moitié de sa consommation. Les fourrages viennent des marais desséchés. Sur une des îles les plus étendues se dressent l’église et les édifices municipaux de la commune de Saint-Joachim. Coupée par un chemin vicinal de grande communication que bordent quelques maisons neuves, cette île même ne diffère pas des autres dans le rangement circulaire des habitations et des jardins. Pour faire comprendre à quel point la population se presse sur les bords de la Brière, il suffira de savoir que cette même commune de Saint-Joachim, qui embrasse la plupart des îlôts, ne compte pas moins de 6,000 habitans.

Cette population est une des mieux placées pour profiter des produits de la Grande-Brière. On peut dès lors juger assez exactement au milieu d’elle du revenu que les riverains immédiats tirent annuellement de ce commun domaine. Supposons une famille de cinq personnes en état de participer plus ou moins à l’exploitation de la tourbe. Nous mettons d’abord sur la ligne de ses profits son chauffage, qui, sans la Brière, lui coûterait au moins 60 francs par année. Le droit de vaine pâture ne saurait ensuite être évalué à moins d’une égale somme de 60 francs. Quant aux approvisionnemens en nature dus à la pêche et à la chasse, et que la famille consomme, on peut les estimer à 15 francs. Chaque ménage réalise en outre par la vente des mottes et des produits accessoires 50 ou 60 francs. C’est une somme totale de 175 à 185 francs. Pour des familles placées dans de pareilles conditions, cette somme constitue une véritable fortune. Le supplément de 50 à 60 fr. devient une