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voit, pleine carrière, Louis de Berquin ne pouvait être laissé longtemps en repos. D’ailleurs il dédaignait la prudence. Dans sa retraite de Picardie, il écrivait encore. Pour se distraire et pour instruire les autres, il traduisait de petits livres d’Érasme, et rédigeait en outre une apologie des maximes condamnées dans ses précédens écrits. Son dessein, généreux, mais téméraire, était de confondre ses juges. Ayant donc achevé son apologie, il en fit parvenir une copie, avec une lettre où il racontait toute son aventure, à ce libre et savant docteur, Didier Érasme, qu’il avait coutume d’appeler son maître. Ce maître, qui n’avait point une bravoure à toute épreuve, fut effrayé par le disciple. Toutefois ce n’est pas la doctrine qu’il blâma, c’est le ton véhément de l’apologie. « En lisant sa lettre, écrit Érasme, je jugeai que c’était un homme de bien. Cependant je lui conseillai en ami et sans détour d’être prudent, de supprimer son apologie, de laisser en repos les frelons, et de se livrer tout entier aux douces joies de l’étude. Je le priai ensuite de ne pas me mêler à ses affaires, ce qui pouvait être aussi dommageable à l’un qu’à l’autre... Plusieurs fois je lui ai chanté cette chanson; mais je m’adressais à un sourd[1]. » La surdité de Berquin, c’était son courage. Il répandit son apologie, et fit imprimer sans permission, c’est-à-dire en secret, ses traductions d’Érasme. Or, quand on sévissait avec rigueur contre tant de gens même timidement hétérodoxes, on ne pouvait tolérer une telle affectation d’impénitence. Malgré les amis que Berquin avait près du roi, près de la régente, malgré cette haute protection qui paraissait lui garantir l’impunité, il fut résolu qu’on le poursuivrait encore. Autrement on eût dit que cet homme était au-dessus des lois.

Le 20 mai 15’25, le jour même où le pape nommait ses quatre délégués, la faculté de théologie de Paris censurait les écrits d’Érasme, traduits par Berquin. Les livres traduits étaient intitulés : La Déclamation des louanges du mariage, le Symbole des apôtres, Briève admonition de la manière de prier, et la Déclamation de la paix. Ces litres ne paraissent pas criminels; mais dans le traité sur le mariage les juges avaient trouvé dix-huit propositions contre le célibat; à l’occasion du symbole, l’auteur semblait dire que la foi seule justifie; il soutenait, au sujet de la prière, qu’il est bon de prier Dieu dans une langue que l’on comprend; enfin à l’éloge de la paix il avait joint une mordante critique des moines, alors, on le sait, très belliqueux. Toutes ces propositions étaient d’Érasme, et la faculté les avait censurées sous son nom; mais en même temps elle avait censuré Berquin pour les avoir traduites en langue vul-

  1. Érasme, Epist. 1060.