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niée l’hommage d’un sorboniste conduit au bûcher. Cependant le traducteur coupable d’Érasme innocent est toujours à la Conciergerie. Priait-on le roi de l’en tirer? Il n’en faut pas douter; mais le roi devait se dire qu’il avait déjà beaucoup fait pour Berquin en sauvant sa vie. Il écrit toutefois le 11 juillet, étant encore éloigné de Paris, pour inviter la cour à bien traiter son prisonnier. Qu’il jouisse du moins de toutes les libertés que la prison comporte; qu’on ne le tienne plus séquestré dans une cellule malsaine, et qu’on le mette dans un autre bâtiment de la Conciergerie où est le préau. — Ce serait, répond la cour, « de périlleux exemple; » jamais on n’a mis au préau des condamnés dont la peine est la mort. A la recommandation du roi, la cour vient, dit-elle, d’offrir à Berquin la chambre réservée aux plus grands personnages, aux princes du sang, celle qui dernièrement était occupée par le sieur comte de Saint-Vallier, et il l’a refusée. On lui permettra désormais, pour contenter le roi, de se promener dans le préau deux heures par jour, une le matin, une le soir, mais seul, en l’absence des autres prisonniers. Qui doit être plus séquestré qu’un si redoutable hérétique?

Non, ce n’était pas contenter le roi. Quant à Berquin, toujours seul, privé même de livres, il s’attriste et devient malade. Le roi, qui l’apprend, écrit de Chambord qu’on le transfère dans quelque maison sûre, mais ouverte à ses parens, à ses amis, où lui seront donnés tous les soins que sa santé réclame. Des lettres-missives, on le sait, le parlement ne tient pas grand compte. A celle-ci le parlement ne répond pas, et de ce que le roi demande il ne fait rien. On informe alors le roi que le parlement s’obstine à lui déplaire. Cela l’irrite, et le 5 octobre, étant à Beaugency, il envoie deux archers de sa garde, René Texier et Charles de Broc, qu’il charge d’aller faire eux-mêmes la translation trop longtemps différée.

Les deux archers arrivent le 10 octobre à Paris avec une lettre du roi pour la cour. Il est, dit le roi, « merveilleusement étrange » qu’on n’ait pas encore fait ce qu’il a ordonné. « À cette cause, ajoute-t-il, nous vous mandons et très expressément enjoignons cette fois pour toutes que vous ayez incontinent à mettre et délivrer ledit Berquin es mains desdits Texier et Charles de Broc, auxquels nous avons commandé le mener en notre château du Louvre. » L’ordre est formel. Eh bien! cette fois la cour refuse formellement d’obéir. Au Louvre, où le roi veut conduire Berquin, on fait en ce moment de grands travaux, et à ces travaux sont employés tant d’ouvriers qu’aucune surveillance n’est praticable. Un prisonnier que favorise un si haut patronage serait bien vite, on n’en doute pas, hors d’une telle prison. Ayant donc délibéré, la cour dit qu’elle