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donné le hasard est vraiment la candeur même. Élevé en province, par une mère toute dévouée et un vieux précepteur ecclésiastique, Armand a des trésors de tendresse et de générosité. Comment ne serait-il pas touché des sentimens de la pauvre fille qui veut redevenir honnêle pour obtenir de lui un peu d’estime ? Fût-elle en parlant ainsi la plus effrontée des comédiennes, Armand tomberait infailliblement dans le piège ; sincère, il l’aime, il s’attache à elle comme à un devoir, il se dit qu’il a charge d’âme. Il est dans les naïfs, dit de lui son cousin George, qui ne songera jamais à réhabiliter aucune pécheresse, qui se mariera pour faire une fin, et qui, malgré les vulgaires désordres de sa vie, défendra la morale des convenances avec une conviction imperturbable. L’esprit le plus droit, le cœur le plus pur est exposé par sa droiture et sa pureté même à faire la plus insigne folie, précisément parce que l’idée d’un devoir impossible se mêle chez lui à la passion aveugle. Tel est ce généreux Armand, et avant même que sa mère essaie de l’arracher au péril, les avertissemens ne lui manqueront pas. Dans la mansarde où il s’est fait l’instituteur d’Esther, il a pour voisin un homme que les orages du vice ont jeté sur ces plages arides, et qui, noble autrefois, élégant, aimable, achève de traîner sa honte dans les liens d’un faux ménage. Ce personnage équivoque a du moins la pudeur de ne plus porter son nom, il se fait appeler simplement M. Ernest. Aux admonitions railleuses de ce vieux routier du mal, Armand répond avec un entrain, une franchise, qui peignent bien son âme et font pressentir le péril où il court tête baissée.

ARMAND.

Pour vous même, monsieur, cessez ce badinage ;
À votre âge, il sied mal.

ERNEST.

Au vôtre, il siérait mieux.
Oui, je suis trop plaisant et vous trop sérieux.

ARMAND.

Laissons cela, monsieur, je suis comme il faut être.
Et puisque le hasard nous a fait nous connaître,
Et que vous revenez toujours sur ce propos,
Je vous parlerai franc : vous perdez vos bons mots.
J’ai passé ma jeunesse entre un vieux maître austère
Et ma mère, bien loin d’ici, dans une terre,
Et je n’appartiens pas à ce monde moqueur
Qui déserte, en raillant, les actes de son cœur,
Dont la sotte pudeur se croirait offensée
Par le sincère aveu d’une bonne pensée,
Où, jeune et vieux, tous sont à l’affût d’un détour
Qui les mette en dehors de cette loi d’amour
Que nous sanctionnons par le rire ou les larmes.
J’ignore quel mérite et je ne sais quels charmes