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faisons partie et la société où nous vivons. Il veut, nous dit-il, la mettre en contact avec les trois forces qui lui sont aujourd’hui le plus contraires, la liberté, la science et la morale indépendante. Les deux premières ont toujours été assez tentées de regarder leurs droits comme inconciliables avec la soumission exigée par la foi chrétienne ; la dernière se plaint d’y avoir été asservie trop longtemps, et croit le moment venu de s’en affranchir. Trois chapitres sont consacrés à combattre ces préventions et ces prétentions, à démontrer d’une part que l’exercice de la liberté comme les recherches de la science n’ont rien d’inconciliable, dans leur plus grande étendue, avec la réserve du chrétien, de l’autre que le lien qui unit le devoir avec la foi, les convictions de l’homme avec ses actes, la règle de la vie avec son but suprême, est trop étroit pour être relâché ou rompu par aucune des modifications passagères de notre existence sociale. En un mot, assurer à la liberté et à la science qu’elles n’ont rien à craindre de la religion, convaincre la morale qu’elle ne peut pas s’en passer, tel est tout le plan de M. Guizot. On conçoit ce que cette démonstration emprunte de force dans sa bouche à sa qualité de vieux serviteur non-seulement de la liberté politique, mais de la liberté de l’examen et de la pensée en toute matière de science et de doctrines. Liberté, science et morale, il n’est aucune de ces trois puissances qui n’ait quelque obligation de reconnaissance personnelle envers les exemples ou les écrits de M. Guizot.

Rien de plus noble et de plus simple à la fois que toute cette argumentation. On ne sait vraiment de quelle façon la résumer, tant elle a déjà dans ces pages brillantes d’énergie sobre et concentrée. D’ailleurs le mérite principal de ces fortes idées étant leur grand sens, toute leur originalité réside dans le bonheur de la larme, que l’analyse fait évanouir. Comment, nous dit M. Guizot, le christianisme serait-il contraire à la liberté politique des peuples quand la doctrine chrétienne est la seule qui ait affirmé constamment, sans jamais hésiter ni se démentir, la liberté morale des individus dont toute société se compose ? Il n’est presque aucun des grands systèmes philosophiques qui ont régné sur le monde, même ceux qui se sont le plus souvent honorés par les vertus de leurs sectateurs, qui n’ait laissé obscurcir de quelque nuage ou mettre un jour en problème la plus précieuse des prérogatives de l’homme, son libre arbitre, sa faculté de déterminer ses actes à sa volonté et de faire choix à ses risques et périls entre le bien et le mal. Le fatalisme était le fond de toutes les idées métaphysiques communes aux grandes écoles de l’antiquité, et la dernière conséquence de leurs argumens. Le sage des stoïciens lui-même n’est qu’une pièce