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Les rapports du christianisme avec la science sont moins intimes sans doute, M. Guizot en convient, mais non pas nécessairement plus hostiles qu’avec la liberté. Il n’y aurait d’antagonisme inévitable entre la science et la foi que si l’une avait la prétention de tout connaître, et l’autre la prétention de tout enseigner. Si la science se flattait de pouvoir découvrir, je ne dis pas tous les secrets de la nature qui piquent notre curiosité, mais seulement ceux qui intéressent notre propre destinée, si la foi se donnait elle-même pour la source unique d’où toute vérité doit découler, si l’une et l’autre se disputaient ainsi l’empire sur la totalité de notre intelligence, un conflit éclaterait nécessairement entre ces exigences contradictoires. Si cependant leurs domaines sont distincts, si le champ de la science est borné de son propre aveu aux notions que le raisonnement peut dégager de l’expérience, si tout ce qui précède ou dépasse l’ordre présent de la nature ou du monde échappe à ses moyens de connaissance, si elle se tait en particulier sur l’origine première des choses et sur la fin dernière de l’homme, — et si la foi saisit et recueille notre intelligence précisément sur les confins où la science l’abandonne, si les vérités dont elle l’entretient et les lumières qu’elle lui apporte éclairent les régions de l’âme où viennent expirer les lueurs mourantes de la science, — sans doute il peut y avoir entre elles, comme entre toutes puissances indépendantes et limitrophes, des querelles de bornage ou de voisinage, les relations peuvent être parfois orageuses, toujours un peu diplomatiques et délicates ; mais il n’y a pas d’incompatibilité essentielle : si la guerre est toujours possible, la paix peut toujours être rétablie ou maintenue. Cette paix a régné après tout pendant des siècles, non sans quelques griefs et quelques accusations réciproques, mais sans rupture, sans déclaration d’hostilité, et ni l’une ni l’autre autorité après tout n’en a souffert dans ses droits légitimes. Il y a eu des croyans fanatiques qui ont opprimé la science, des sa vans orgueilleux aussi se sont rencontrés qui ont insulté la foi. Ces torts tout individuels chargent la mémoire de ceux qui les ont commis ; mais ils n’ont ni arrêté le développement, ni ébranlé l’empire des deux puissances, qui ne leur avaient point donné mission de tenter en leur nom, sur le territoire l’une de l’autre, ces agressions usurpatrices. L’inquisition n’a pas enfermé les immortelles découvertes de Galilée dans le cachot où elle a fait languir sa personne, et l’athéisme de Laplace n’a pas ébranlé la croyance en Dieu dans une seule âme sincère.

D’où vient que ce qui était possible, facile même hier, ne le serait plus aujourd’hui ? La science aurait-elle pris de nos jours quelque essor nouveau qui lui aurait fait franchir d’un bond les limites