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ne suffisent pourtant pas à expliquer un phénomène de cette persistance. D’ailleurs, quand des passions règnent et durent, c’est qu’il y a sous jeu une cause latente et plus générale qui les explique et les envenime.

Ce n’est rien dire non plus que de répéter, suivant une formule banale, que la société française est emportée dans un mouvement de progrès rapide et constant, tandis que le christianisme est enfermé dans le cadre inflexible d’un dogme toujours identique à lui-même, et que l’accord est impossible entre l’immobilité et le mouvement. Cette antithèse purement verbale ne répond à aucune vérité ni d’observation ni d’histoire. Il y a dix-huit siècles et bientôt dix-neuf que le christianisme existe, et que l’église catholique en est interprète. Apparemment dans cet intervalle le monde a marché, et n’a pas seulement marqué le pas sur place. De Néron à Constantin, de Constantin à Charlemagne, de Charlemagne à Charles-Quint, de Charles-Quint à Louis XIV, de Louis XIV à 89, quel mouvement continu, sinon toujours quel progrès ! On ne voit pourtant pas que durant cette course à travers les siècles le christianisme ait perdu haleine et se soit laissé ni fatiguer, ni devancer par l’impulsion qui précipitait l’un sur l’autre empires et institutions. A chacune des phases, à chacune des stations de ce grand développement de la civilisation européenne, le christianisme s’est retrouvé non point en arrière, mais à côté, en avant des sociétés, parfois persécuté, jamais détruit, parfois souffrant, toujours bienfaisant, pareil au soleil qui semble suivre le mouvement de la terre parce qu’il le domine. Il s’est prêté aux constitutions les plus diverses avec une flexibilité qui a fait l’admiration de l’histoire : fidèlement attaché au vieil empire jusqu’à sa chute, conseiller des royautés barbares, féodal auprès de saint Louis, monarchique à Versailles. Rien en lui qui ait jamais ressemblé à la raideur des religions pétrifiées du Haut-Orient, dont une caste héréditaire garde dans un coin reculé du monde les symboles sans vie. Qu’importe que son dogme soit immuable, si ce dogme, conforme aux sentimens éternels de l’humanité, sait en même temps s’accommoder à ses besoins passagers et même à ses caprices ! Les lois de la nature aussi sont uniformes, et notre intelligence elle-même est enfermée dans un nombre déterminé de catégories d’idées. C’est pourtant dans le sein de ces règles invariables et par le jeu de ces données constantes que se développent toute la variété et toute la richesse de l’activité humaine, que se produisent toutes les inventions de la science, tous les chefs-d’œuvre de l’art et du génie. Le dogme chrétien est de même taille et de même origine que les lois primordiales de l’intelligence et du monde. Comme elles, il se plie aux changemens de la