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du code pénal. Il y a l’interprétation libérale, beaucoup plus respectueuse pour les droits de l’individu, qui admet toutes les religions, pourvu qu’elles se mettent en règle avec la morale publique. Enfin il y a l’interprétation révolutionnaire, qui donne libre carrière à tous les écarts de la pensée et à tous les désordres de la conscience, permet à tout homme de renier Dieu et son âme, mais excepte nommément de cette licence universelle l’église catholique, à qui elle réserve le privilège de la persécution. Autant d’écoles toutes abritées sous le nom commun de la liberté de pensée, mais dont les docteurs et les disciples, assez intolérans les uns pour les autres, prétendent exclusivement à l’orthodoxie.

On peut dire, je le sais, que cette confusion qui règne encore dans l’application de nos doctrines les plus accréditées provient d’une exubérance d’ardeur propre à la jeunesse des sociétés comme des individus. On peut espérer que, quand viendra l’expérience avec la maturité, ces principes, jusqu’ici autant débattus que célébrés, sauront trouver entre des excès contraires leur formule exacte et leur juste point d’équilibre. Je partage volontiers cette confiance, et Dieu veuille qu’elle soit bientôt justifiée ; mais en attendant il n’est pas très surprenant qu’une grande institution qui a charge d’âmes dans le monde entier hésite à s’engager envers un symbole d’idées encore assez peu précis pour s’être prêté en cinquante années à la constitution de 91, à la charte de 1830 et au plébiscite de 1852.

Mettez en effet par la pensée en présence de nos élémens sociaux encore en effervescence et en lutte ce vieux pouvoir couché sur la base inébranlable d’un dogme nettement défini, et qui a vu s’amonceler à ses pieds les ruines de cent peuples et la poussière de vingt siècles. Avant que la société moderne eût vu le jour, avant même que le germe en eût été conçu dans le sein fécond de la France, ce pouvoir existait ; il a vu naître nos pères et nos aïeux ; si loin que nous remontions dans nos généalogies croisées de Latins et de barbares, nous le trouvons penché sur leur berceau. Une grande partie de notre civilisation est son œuvre, et il peut dire à chacun de nous comme Jéhovah au patriarche du désert : Quand je fondais ce monde, toi, où étais-tu ? Les générations ont défilé devant lui, chacune étalant à ses yeux avec orgueil sa constitution politique et sociale, véritable procession d’ombres fugitives qui presque toutes pendant l’instant de leur passage ont eu la prétention d’avoir fait une œuvre éternelle et d’être marquées d’un caractère sacré. Puis, à l’épreuve, cette éternité s’est trouvée fragile, et cette divinité a subi la corruption mortelle. C’était d’abord Rome, la cité déesse et éternelle par excellence, qui fait lire encore ces deux épithètes dérisoires sur