Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/558

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le fronton brisé des temples qu’elle avait élevés à son propre culte. Ensuite sont venues les royautés de l’Europe féodale, chacune parfaitement sûre d’avoir reçu de Dieu lui-même la propriété des peuples pour la transmettre de père en fils jusqu’à leurs derniers descendans. Où sont-ils aujourd’hui ces héritiers prédestinés des états ? Ils errent dans toutes les hôtelleries d’Europe, cachant sous le voile inutile d’un nom supposé la place où l’auréole a cessé d’éclairer leur front. Voici venir maintenant la société française du XIXe siècle, réclamant, elle aussi, la perpétuité indéfinie et la sainteté inviolable, non plus pour telle nation ou pour telle famille, mais pour ses principes et ses idées. Ainsi conçue, la prétention est plus raisonnable, car les principes de leur nature sont éternels, et toute vérité est fille du ciel ; mais, comme vérités et principes doivent toujours passer ici-bas par le milieu faillible d’une intelligence humaine, cette espérance, aussi bien que les autres, peut être réservée à plus d’un mécompte. En tout cas, il est naturel qu’elle ne soit pas ratifiée tout de suite par le témoin de tant d’orgueils trompés, de déceptions et de chutes. Admettons, pour compléter le tableau et le rendre tout à fait équitable, qu’il y ait chez bon nombre des représentans de la tradition ecclésiastique ce qui se rencontre dans toutes les institutions qui ont duré, un peu d’esprit de routine, le goût des situations faites et connues, l’effroi des épreuves nouvelles, et alors rien de si simple que ce dialogue qu’on croit entendre s’engager entre l’antique pouvoir spirituel et les fils impatiens de la France moderne. Que me demandez-vous ? semble-t-il leur dire. Que je vive en paix avec vos gouvernemens ? Mais j’ai déjà signé avec eux plus d’un concordat, et ce n’est pas moi qui veux les rompre. Que je ne prêche pas l’insurrection contre vos lois ? Mais je ne fomente la révolution nulle part. Voulez-vous donc que je reconnaisse ces lois comme le couronnement du progrès social, et que je les propose comme telles à l’imitation du monde entier et à l’admiration des générations futures ? Voilà ce que vous n’obtiendrez pas. Parlez-moi de charité, de nécessité, d’équité, de faits accomplis à accepter, de droits acquis à respecter, je vous écoute et je vous comprends ; mais ne me parlez ni d’idéal ni d’absolu, car l’idéal ne sera jamais pour moi que l’avenir céleste que j’attends, et l’absolu, à mes yeux, c’est la vérité que je représente.

On touche ici du doigt le fond même du débat. Si la société française consent à être prise, ainsi que toutes ses devancières, comme un fait mélangé de bien et de mal, imparfait à la mode humaine, la paix avec l’église se fera, si déjà elle n’est faite ; mais si ce qu’elle demande, c’est d’être consacrée et presque canonisée, je