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royaumes héréditaires, la France, l’Espagne, la Grande-Bretagne, la Suède et la Lombardie, — six monarchies électives, le saint-siège, l’empire, la Hongrie, la Bohême, la Pologne et le Danemark, — trois républiques fédératives, la confédération italique, les Pays-Bas et les Suisses, enfin une république aristocratique, la seigneurie de Venise. On ne regardait pas alors la Moscovie comme appartenant à l’Europe, et la république chrétienne devait refouler les Turcs en Asie. Pour régler tous les différends entre les confédérés et les vider sans voies de fait, on aurait établi un conseil général composé de soixante membres, quatre nommés par chaque état, qui se seraient réunis dans quelque ville centrale, comme Metz ou Cologne, et qu’on aurait appelé le sénat de la république chrétienne.

Plusieurs historiens ont contesté que ce fût là réellement le plan d’Henri IV. Il avait, dit-on, un but plus personnel, il voulait conquérir quelques provinces sur la maison d’Autriche, et appeler les petits états à s’enrichir avec lui des dépouilles de cette maison ; le reste du projet appartiendrait à Sully, qui aurait prêté à son maître ses propres idées. Peu importe au fond pour ce que voulait l’abbé de Saint-Pierre ; il avait en sa faveur le témoignage de Sully, c’était assez pour ôter à son projet le caractère chimérique. Qui peut dire d’ailleurs où s’arrêtait exactement la pensée d’Henri IV ? Il pouvait céder à la tentation de s’approprier quelque bonne part dans les domaines de la maison d’Autriche : ce nombre de quinze états, ni plus ni moins, pouvait n’être pas aussi arrêté dans son esprit que l’affirme Sully, il pouvait avoir des doutes sur l’efficacité d’un sénat central pour résoudre à l’amiable toutes les difficultés ; mais l’idée d’une fédération chrétienne où devaient entrer monarchies et républiques, pays protestans et pays catholiques, et où l’équilibre des forces devait rendre à l’avenir les guerres plus rares, l’avait certainement gagné. Pacificateur de la France après tant d’années de guerres civiles, il ambitionnait d’y joindre le titre plus grand encore de pacificateur de l’Europe. Une telle politique convenait à son génie à la fois habile et généreux.

Ce n’était pas d’ailleurs sans motif que l’abbé de Saint-Pierre parlait de l’adhésion de la reine Elisabeth, de son successeur Jacques Ier, des républiques et des divers autres potentats. Il est certain que des négociations engagées par Henri IV avec la Grande-Bretagne et d’autres puissances avaient réussi une véritable coalition européenne était formée. Voltaire, qui ne croit pas au projet de la division en quinze états, affirme que, « par ses alliances, par ses armes, par son économie, Henri IV allait changer le système de l’Europe et s’en rendre l’arbitre. »

Quoi qu’il en soit, l’abbé avait eu soin d’éviter dans son projet ce