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était en pareil cas le meilleur missionnaire. Cette correspondance entre deux vieillards, car ils avaient tous deux plus de quatre-vingts ans, est curieuse et caractéristique. Au fond, ils étaient d’accord ; Fleury fit tout ce qu’il put pour éviter la guerre, il ne s’y laissa engager que malgré lui, et l’expérience prouva qu’il avait raison de la redouter.

Le second des grands écrits de l’abbé de Saint-Pierre, le Discours sur la Polysynodie, parut en 1718. Cette fois il devient difficile de lui appliquer l’épithète de rêverie, car c’était tout simplement la théorie du système de gouvernement que le régent venait d’établir. Après la mort de Louis XIV, il y eut un moment où tout le monde parut sentir la nécessité d’échapper au despotisme ; les uns demandaient la convocation des états-généraux, les autres cherchaient à concilier avec l’autorité souveraine des formes administratives moins absolues. Après avoir songé un moment à imiter les institutions politiques de l’Angleterre, le régent avait adopté le second parti : il avait institué, sous l’autorité suprême du conseil de régence, six conseils de gouvernement, — pour les affaires ecclésiastiques, les affaires étrangères, la guerre, les finances, la marine et le dedans ou l’intérieur. Le préambule de l’édit invoquait le souvenir du duc de Bourgogne, père du jeune roi, et en effet ce prince avait eu, d’après Saint-Simon, l’idée première de ce projet[1]. Les conseils avaient pour présidens les personnages les plus illustres du temps : président du conseil de conscience ou des affaires ecclésiastiques le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, des affaires étrangères le maréchal d’Uxelles, de la guerre le maréchal de Villars, de la marine le maréchal d’Estrées, des finances le maréchal de Villeroy, et après lui le duc de Noailles, de l’intérieur le duc d’Antin. Un septième conseil fut institué plus tard pour le commerce.

La courte expérience de l’administration des conseils n’a jamais été sérieusement jugée. Elle a eu contre elle un double parti-pris ; les partisans du pouvoir absolu Tout considérée comme une dégradation de l’autorité royale, et les ennemis systématiques de l’ancienne monarchie n’ont voulu y voir qu’une tentative de domination oligarchique. En y regardant de plus près, on trouverait probablement qu’elle mérite un jugement moins sévère ; ce travail se fera quelque jour, pièces en main. Ce que nous savons de quelques-uns de ces conseils ne leur est pas trop défavorable. Ce n’était pas sans doute un gouvernement représentatif, le seul qui donne aux nations de véritables garanties ; mais c’était un gouvernement délibératif, qui

  1. Voyez un mémoire attribué à Saint-Simon et publié pour la première fois par M. Mesnard d’après un manuscrit de la Bibliothèque : Projets de gouvernement résolus par monseigneur le duc de Bourgogne, dauphin, après y avoir bien mûrement pensé.