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patrie, quand même il s’agirait de la mort. En faisant ainsi, ajoute-t-il, vous verrez que l’épée de l’Éternel sera à votre côté. » Enfin il insiste sur la nécessité d’avertir les puissances réformées du danger qui menace l’Israël des Alpes, et d’envoyer une adresse au prince légitime pour lui rappeler ses édits de tolérance et ceux de ses ancêtres.

Pour se conformer à ce dernier avis, l’assemblée vota une humble adresse à Victor-Amédée ; mais elle resta sans réponse. Trois fois elle est renouvelée, trois fois elle se perd dans un silence de mort. On écrit aux puissances amies, et le cri de détresse parti des Alpes émeut vivement la diète des six cantons protestans de la Suisse. La diète, réunie extraordinairement à Baden, délègue deux patriciens de Berne, Gaspard et Bernard de Muralt, qui arrivent à Turin au mois de mars. Frédéric-Guillaume, le vieil ami des vaudois, vivait encore. Il écrit à la date du 19 janvier 1686 une lettre pressante qui reste également sans réponse jusqu’au mois de mai suivant. Les nobles paroles et les nobles pensées qu’elle renferme méritaient pourtant toute l’attention de Victor-Amédée II. « Quoique les haines qu’engendre la diversité de religion soient profondément enracinées au cœur de l’homme, dit-il en un latin solennel, il est une loi de la nature antérieure et supérieure, une loi sainte qui l’oblige à tolérer son semblable et même à le secourir dans l’affliction sans égards à ses mérites, imo et adflictum absque merito suo juvare tenetur. » Au nom de cette loi naturelle, au nom de l’humanité, de la clémence et de la miséricorde, qui sont, dit-il, « les attributs des princes, » il conjure le duc d’accorder la paix, la liberté à ses sujets et aux malheureux proscrits français qui sont venus chercher un refuge sur la terre vaudoise. Pour ceux-ci surtout, le cœur du « grand-électeur » s’émeut de compassion, et il a des paroles qu’il fait bon entendre après avoir écouté les éclats de la haine dévote du « grand-roi. » « Certainement, dit-il, si ces malheureux étaient le moins du monde coupables, nous n’intercéderions pas pour eux, et nous serions le premier, malgré notre foi commune, à demander qu’ils fussent justement punis ; mais ils ne sont coupables d’aucun crime : au contraire, c’est pour rester fidèles à leur conscience, — qu’aucune force humaine ne peut contraindre et dont l’empire appartient à Dieu seul, — qu’ils ont brisé les liens les plus chers de la société et de la famille, qu’ils sont misérables, sans fortune, sans patrie, proscrits, affamés, destitués de tous les biens auxquels on attache du prix. Ah ! qui ne les jugerait dignes de pitié ? qui ne voudrait leur accorder secours et protection ? Quis non misericordia, ope et auxilio dignos judicaret ? » Et ce que le brave électeur disait dans cette magnifique dépêche, il le faisait à l’égard de