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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/610

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une seconde visite. — Décidément, me dit-il, je suis mécontent de mon jeune protégé. Il a dissipé en folles débauches l’argent que j’entendais lui fournir pour un meilleur usage. Non-seulement je cesse de m’intéresser à son avenir, mais j’entends lui ménager, pour le présent, une leçon sévère. Prenez ce reçu, et allez réclamer mon argent. Si ce jeune vaurien refuse de payer, dénoncez-le comme banqueroutier au tribunal des cinq. — En vertu de ces instructions formelles, et sur le refus de l’étudiant, je portai ma plainte, tout ainsi que cela m’était prescrit, sans m’être enquis des raisons qui poussaient messer Toldo à relancer ainsi ce pauvre jeune homme, dont le nom fut inscrit à ma requête sur la liste noire. Ce qui s’ensuivit, je l’ignore, et n’avais jamais songé à m’en mettre en peine. »

Ce récit donne fort à réfléchir et complique évidemment la situation de l’accusé. Généralement parlant, on n’accueille qu’avec une extrême réserve les dires d’un juif quand l’existence et les intérêts d’un chrétien se trouvent plus ou moins compromis ; mais ceux de Maccabeò coïncident étrangement avec certain passage du billet retrouvé naguère sur le défunt, et qui est une des grandes ressources de l’accusation : « celui que vous persécutez vous pardonnera demain votre méchant vouloir. » Cette phrase ambiguë ne faisait-elle pas allusion à l’emprisonnement de Pasquale dans la prison des cinq, et aux craintes qu’il avait pu concevoir d’y rester enfoui pour jamais par suite des trames qu’avait ourdies contre lui l’opulent joaillier ? Les soupçons éveillés par le récit du noble Contarini ne se trouvaient-ils pas ainsi confirmés ? N’était-il pas raisonnable de croire que l’accusé, pouvant redouter de nouvelles embûches, et se sentant sous le coup d’une persécution mortelle, avait pu vouloir se débarrasser à tout prix, voire par un assassinat, de l’ennemi qui en voulait à sa vie ?

D’ailleurs, à mesure que la lumière se fait dans ces ténèbres, les réponses de l’accusé deviennent plus évasives. Ziobà prétend n’avoir jamais eu aucunes relations avec ser Antonio, n’avoir aucune connaissance des mauvais desseins que ce dernier aurait nourris contre lui ; si ces desseins existaient réellement, ils ne pouvaient être, assure-t-il, que l’effet de calomnies infâmes semées secrètement par des ennemis qu’il aurait sans les connaître. — La justice en général, et celle de nos quarante plus particulièrement, ne se paie pas de telles défaites. Pour compléter l’enchaînement des preuves qui s’élèvent de tous côtés contre l’accusé, il ne reste plus qu’à déterminer l’origine de la haine que lui portait ser Toldo, avec qui on ne lui connaissait aucuns rapports ostensibles. Ai-je besoin d’ajouter que le nom de Monna Lucrezia, jusqu’ici écarté du débat,