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Ce qui suit le récit de Ziobà est la copie d’une lettre adressée aux pregadi par un anonyme qui doit être, selon mon humble jugement, le podestat de Brescia.

« Les Gambara, au sujet desquels plusieurs questions me sont adressées, tiennent un des premiers rangs dans la noblesse bresciane. Leur influence a toujours été hostile à la France, dont ils signalaient à tout propos l’inconsistance et la versatilité politiques. Ils comptent d’ailleurs parmi les guelfes, et penchent plutôt vers l’Espagne, où ils ont des relations très importantes, que vers la faction impériale ou gibeline. C’est au surplus une famille lettrée, dont quelques membres se sont fait un nom parmi nos écrivains. Veronica Gambara, femme du seigneur de Correggio, et maintenant âgée de quarante ans, est la propre tante du jeune homme dont vous me parlez (en supposant toutefois qu’il soit véridique dans ses assertions au sujet de sa naissance) ; elle a composé divers poèmes. Lorenzo Gambara, cousin d’icelle et plus jeune de dix ou douze ans, s’occupe d’un grand ouvrage en vers latins sur la découverte du Nouveau-Monde. La confiscation des domaines appartenant au chef de la famille, qui ont été attribués à un Trivulzio, a été une mesure prudente et sage, dont le maintien pendant les ruptures survenues depuis lors entre la France et la très sérénissime république était encore hautement loué il y a trois mois. Depuis la journée de Pavie et l’humiliation des armes françaises, bien des gens en jugent d’une façon toute différente. Un temps fut, — avant la ligue de Cambrai, avant Agnadel, — où la dominante Denise pouvait se passer de ménagemens et d’habiletés diplomatiques. Maintenant il n’en va plus tout à fait de même, et nous devons féliciter notre excellentissime doge Andréas Gritti d’avoir su habilement louvoyer entre les écueils des alliances les plus périlleuses, passant de l’une à l’autre au moment opportun, et ne se laissant jamais éblouir par le présent au point d’oublier le passé, de compromettre l’avenir. Le résultat tout à fait imprévu du siège de Pavie semble certainement avoir déjoué la subtilité de ses calculs ; mais aucun blâme ne s’attachera jamais, venant d’un esprit éclairé, à des déceptions de cet ordre. Le roi de ^France est prisonnier, l’Espagnol triomphe. Tout récemment alliés au premier, nous sommes exposés à la colère du second, qui peut à bon droit nous reprocher de lui avoir manqué de parole ; mais ce n’est là qu’un nuage passager, et Venise, bien qu’affaiblie et menacée, demeure encore le rocher solide contre lequel viendra longtemps battre en vain le flot des royautés avides de ses richesses et jalouses de sa gloire.

« Je n’hésite pas, dans les présentes circonstances, à vous recommander comme un intermédiaire éminemment utile (pour peu