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Vries, se sert d’une vive et ingénieuse comparaison pour m’exprimer l’identité des deux langues. « Supposez, me dit-il, qu’on pût mettre la langue anglaise dans un crible, de manière à séparer les deux élémens dont elle se compose, et que le crible eût la vertu de laisser passer tous les mots d’origine latine, ce qui resterait après l’opération serait le hollandais. » Le même professeur m’apprend un fait fort curieux, c’est que les paysans du Northumberland, lorsqu’ils descendent en Frise, comprennent le langage des paysans frisons, et sont compris d’eux dès les premières minutes de leur séjour. Les paysans de beaucoup de nos provinces ne pourraient en faire autant, même dans notre Aquitaine et notre Languedoc, car, lorsqu’ils changent de province et même de département, ils ont besoin de quelques semaines, voire de quelques mois pour être au fait du nouveau patois qu’ils doivent parler. Le caractère est le même, et ce que j’appellerai les doctrines instinctives sont les mêmes ; les deux peuples ont montré égale ténacité, égale force de résistance, égal esprit politique. Tous deux ont montré la même âpreté pour les biens de la terre, tous deux ont préféré la prospérité matérielle à l’éclat et à la gloire, tous deux ont professé par leurs actions qu’ils plaçaient la grandeur dans la richesse ; pour tous deux enfin la religion, je le crois, a été beaucoup une affaire de bon gouvernement, selon la saisissante expression d’Olivier Cromwell. Et si nous descendons aux nuances et aux détails, que de ressemblances minutieuses entre les deux peuples ! Mêmes bizarreries de caractère, surtout à mesure que l’on avance dans le Nord-Hollande, et que la population devient plus pure d’élémens continentaux, même taciturnité sérieuse, même flegme, même tendance à l’isolement ; dans les affaires, tous les commerçans du monde sont d’accord là-dessus, même régularité ponctuelle, même exacte probité. Ces excentricités, ces goûts chinois par exemple que les Hollandais eux-mêmes reconnaissent aux habitans du Nord-Hollande, cet amour du joli, du net, du coquet (trim), qu’ils portent dans leurs parcs, dans leurs jardins, dans l’architecture et la disposition de leurs maisons, sont au nombre des singularités de l’Anglais. Oui, la Hollande par sa position géographique, sa ceinture d’eau, sa race, son histoire, son caractère et ses mœurs, c’est l’Angleterre même. Dès lors pourquoi la singularité que nous venons de surprendre ici, à Rotterdam, nous étonnerait-elle ?

Mais ce fait a un corollaire embarrassant, et qui prouve que les explications trop générales fort souvent n’expliquent rien. Une fois que j’eus attribué cette ressemblance entre la foule d’Hoogstraat et la foule de la Cité de Londres à la ressemblance plus générale du