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pendant que sa jeune compagne remettait ses lourdes boucles d’or massif. Nulle gaucherie, nulle raideur, nuls faux mouvemens, mais cette parfaite aisance, cette rectitude des attitudes, cette souplesse de la démarche et du geste, ce tact du corps, qui dénotent la richesse depuis longtemps acquise, les habitudes de l’indépendance et la fierté sans efforts qui en résulte. Eh bien ! tout cela, richesse, aisance, beauté du corps, décence des mouvemens, était le résultat pratique, la récompense matérielle de cet amour avisé des bêtes, héréditairement transmis depuis ce paysan si laid de Paul Potter jusqu’à ce jeune paysan si fier qui attirait mon regard au Helder.

Ces sentimens du paysan hollandais se lisent encore dans la beauté de ce taureau et de cette vache. Des bêtes ne sont pas aussi belles que cela sans être gâtées, choyées, caressées à l’excès. Comme la litière doit être souvent renouvelée sous leurs flancs ! comme elles doivent être bien protégées contre les rhumes et les courans d’air dans leurs étables aux portes sans fissures, étroitement closes ! comme la table de leur râtelier doit être soigneusement brossée et servie avec propreté, et dans quels jolis seaux toujours neufs, en bois peint de gaies couleurs, elles boivent sans doute ! La pensée qui a inspiré ce tableau est une pensée toute démocratique ; mais je m’étonne qu’il ne se soit pas trouvé encore quelque bel esprit pour démontrer que l’œuvre de Potter était une œuvre aristocratique, car ces bêtes sont des bêtes royales. Quelle fierté marque la tête de ce taureau, infant ou dauphin de l’étable ! quel indomptable orgueil se lit dans ses yeux farouches ! quel étonnant aplomb il y a dans son attitude menaçante, quoique passive, comme l’est l’attitude, même au repos, de celui qui peut tout ! A coup sûr, ce dauphin-là n’a jamais connu les coups de gaule, et lorsqu’il a fait quelque sottise, c’est le petit berger qu’on a fouetté. Et cette vache, vraie reine douairière et mère royale du précédent personnage, comme elle est accroupie avec noblesse, comme elle tient droit la tête, et quelle majestueuse ampleur dans ses formes ! .Quant à la brebis assise auprès d’eux avec ses mamelles gonflées de lait jusqu’à l’excès, c’est l’image la plus frappante de la fertilité qui se puisse voir, d’autant plus frappante qu’elle est plus simple, et que le peintre s’est servi d’un des plus ordinaires phénomènes de la réalité pour exprimer une pensée qu’artistes et poètes ont presque toujours désespéré d’exprimer autrement que par l’allégorie. Un orage se prépare dans le ciel ; mais ces bêtes n’éprouvent aucune des inquiétudes que l’approche des tempêtes donne aux animaux. Que leur fait l’orage ? Elle est si près, l’étable où ils pourront aller ruminer dans leur âme obscure l’élégie du poète latin sur le bonheur qu’on ressent à entendre du fond d’une chambre bien close le vent mugir et la pluie battre les portes !