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capucins de la petite ville piémontaise de Luzerne, vit arriver cette troupe désolée. « Dans les premiers jours de ma captivité, dit-il, je vis arriver 400 personnes, tant femmes qu’enfans et vieillards, et tous dans un état si déplorable, si malheureux, que les prisonniers eux-mêmes en étaient affligés. Ces pauvres gens avaient conduit avec eux quelques ânes et quelques mulets ; mais les soldats s’emparèrent de ces montures, et en jetaient bas ces pauvres enfans et ces pauvres femmes si brutalement que c’était une véritable compassion. Deux d’entre elles, qui étaient enceintes, accouchèrent sur le coup, et on les mena dans un autre cachot… Tous les jours, on amenait de nouvelles bandes de prisonniers. Il y avait quelquefois des familles entières ; mais les soldats arrachaient les petits des bras de leurs mères avec tant de violence que plusieurs de ces faibles créatures furent étranglées et restèrent mortes entre leurs mains. Il n’y avait point d’humanité dans ces gens-là, » ajoute-t-il avec une éloquente simplicité.

L’œuvre commencée par les Français dans la vallée de Saint-Martin fut poursuivie dans les deux autres vallées par les Piémontais, avec moins de barbarie toutefois, la lutte n’ayant pas été à beaucoup près aussi vive ; la patrie vaudoise fut vidée de son peuple, qui alla s’entasser dans les prisons et dans les fossés de treize forteresses du Piémont. Il ne resta dans les montagnes que quelques bandes qui échappèrent jusqu’à l’automne aux poursuites de l’armée piémontaise. Rapides dans l’attaque, insaisissables dans la fuite, elles tombaient à l’improviste sur un poste militaire, sur une bourgade, mettaient tout à feu et à sang, et regagnaient précipitamment leurs retraites inaccessibles. C’était le dernier effort du peuple sacrifié. Le commandant piémontais, le marquis de Parella, parvint à s’en rendre maître, soit par la force, soit en facilitant leur émigration par des saufs-conduits accordés à tous ceux qui les demandaient. Maintenant d’autres scènes vont passer sous nos yeux. Après la captivité suit la dispersion, et nous allons assister à l’exode de l’Israël des Alpes et à sa rentrée glorieuse dans l’héritage des ancêtres.


III.

Les historiens vaudois sont remplis du récit des souffrances du peuple captif. Salvajot nous montre de plus près ce spectacle de désolation. Partout il voit ses frères entassés dans des cachots infects, ou jetés dans les fossés des citadelles, sans abri, sans paille pour se coucher, sans eau et quelquefois sans nourriture. Un jour, on le fit entrer dans le cachot des ministres. En bon vaudois qu’il