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pour arrêter l’archevêque de Bordeaux, prélat d’un âge avancé et atteint d’une certaine surdité qui l’aurait empêché, même s’il l’eût voulu, de se rendre aux timides remontrances que lui adressaient en ce moment à demi-voix ses plus proches voisins. « Quoi ! s’écria-t-il, le saint-père a, dites-vous, excédé ses pouvoirs ! Vous n’avez donc pas lu le concile de Trente, session XXII, chapitre XI ? N’est-il pas assez formel et précis ? Si quem clericorum aut laicorum quacumque in dignitate, etiam imperiali aut regali prœfulgent, etc. — C’est vrai, repartit le cardinal Maury, un peu stupéfait d’une citation qui le confondait, dit le biographe de M. d’Aviau ; mais il faut s’entendre. C’est lorsqu’il y a faute notoire, crime avéré ; autrement où serait l’indépendance des couronnes ? — Qui prononcera alors, riposte l’archevêque de Bordeaux, sur la culpabilité du fait qui aura provoqué la censure ? — L’opinion, » répondit à son tour l’archevêque nommé de Paris. À ces mots, M. d’Aviau, ne se contenant plus et se levant à demi de son siège, jeta sur la table du bureau, où il siégeait comme l’un des secrétaires de l’assemblée, un exemplaire du concile de Trente ouvert à l’article qui donne aux papes le droit d’excommunier les souverains, de quelque rang qu’ils soient ; puis avec un geste indigné, d’une voix fatiguée, mais vibrante encore malgré sa faiblesse, il s’écria : « Eh bien ! jugez le pape, si vous l’osez, et condamnez l’église, si vous pouvez[1] ! » L’émotion avait gagné tous les membres du concile. L’effet produit fut énorme. « Cette scène, écrivait plus tard l’abbé de Pradt, vivra éternellement dans ma mémoire[2]. »

Le sort du projet d’adresse était de nouveau remis tout entier en question. Profitant de l’avantage que leur donnait l’éloquente sortie de M. d’Aviau, l’évêque de Soissons et quelques-uns de ses collègues essayèrent de faire revenir l’assemblée au vœu exprimé par l’évêque de Brescia, de se borner, suivant l’usage, à des témoignages de fidélité et de dévoûment pour la personne du prince. Cette motion avait grande chance d’être acceptée. Alors, recourant au moyen employé devant les membres de la commission, et qui lui avait déjà si mal réussi, l’évêque de Nantes s’échappa encore à dire que l’empereur connaissait l’adresse, et la voulait telle qu’elle était. Cet aveu, au dire de M. Jauffret, excita de violens murmures[3]. « Une profonde indignation se manifesta dans l’assemblée, dit également le chanoine de Smet, quand elle entendit un langage aussi

  1. Vie de monseigneur d’Aviau, archevêque de Bordeaux, par l’abbé Lyonnet, t. II, p. 593.
  2. L’abbé de Pradt, Histoire des Quatre Concordats, t. II, p. 494.
  3. M. Jauflret, t. II, p. 444.