Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 79.djvu/669

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

servile[1]. » Si grande que pût être l’indignation de la plupart des pères du concile, elle n’alla pas jusqu’à les rendre si hardis que de retrancher de l’adresse tous les paragraphes qui leur déplaisaient. Ils se bornèrent à élaguer quelques membres de phrase et à tempérer les expressions trop vives. Après bien des débats, l’évêque de Nantes, qui avait pris tant de peine pour composer cette adresse avec l’agrément et presque sous la dictée de l’empereur, la vit dépecer et mettre en pièces sous ses yeux, article par article, comme le lui avaient d’avance prédit non-seulement M. de Broglie, mais aussi les évêques de Troyes, de Montpellier et le président du concile lui-même[2]. Quand vint le moment de voter, telle qu’elle était sortie des délibérations de l’assemblée, cette pièce devenue passablement informe, le cardinal Maury, gagnant de vitesse l’évêque de Gand, demanda qu’elle ne fût signée que par le président et les secrétaires. Sa motion, dit M. de Broglie, fut acceptée avec une joie universelle. Sauf quelques prélats courageux qui réclamaient sans succès, cette échappatoire convenait en effet à tout le monde et surtout peut-être aux prélats les plus opposans, car elle ne compromettait personne. C’est ainsi que l’adresse fut enfin adoptée, non au scrutin secret ni à la majorité des voix, mais par assis et levé, mode de voter jusqu’alors inouï dans les annales des conciles.

Qu’allait dire l’empereur, et comment recevrait-il cette adresse si différente de celle qu’il avait espéré faire accepter par le concile ? Telle était probablement la question que se posaient les prélats, non sans quelque anxiété, quand ils quittèrent la salle de l’archevêché où venait de se passer cette orageuse séance. Dès le soir même, l’empereur avait été averti par ses confidens des graves modifications qu’avait dû subir un travail auquel il n’avait pas dédaigné de mettre la main. Son mécontentement fut très vif et devint bientôt public. Dès le lendemain 28 juin, il écrivit au ministre des cultes pour lui dire de lui faire connaître en détail les changemens faits à l’adresse que le concile devait lui présenter, et si cette pièce était signée de tous les évêques[3]. Le même jour, il réunissait à Saint-Cloud dans une même conférence M. Bigot, ministre des cultes, et M. Duvoisin. Il ne leur cacha point sa mauvaise humeur. « Les évêques s’étaient bien trompés, s’ils pensaient qu’ils auraient le dernier mot avec lui. » Le samedi 29 juin, il charge en effet l’un de ses ministres de déclarer aux députés de la nation que « le

  1. Coup d’œil sur l’histoire ecclésiastique, par le chanoine de Smet, p. 228.
  2. Journal de M. de Broglie, évêque de Gand.
  3. Lettre de l’empereur à M. Bigot de Préameneu, ministre des cultes, 28 juin 1811. (Cette lettre n’est pas insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier.)