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de toutes ses connaissances. Je ne sais si elle a des défauts. Il ne lui manquait que d’être riche, mais elle vivait honnêtement avec un très médiocre revenu. Elle s’avisa de nous donner un jour à souper, nous essayâmes sa cuisinière, et je me souviens que je mandai alors qu’il n’y avait de différence entre cette cuisinière et la Brinvilliers que l’intention. »


L’homme qui a tenu la plus grande place dans la vie de Mme de Rochefort et de qui l’on disait qu’il avait été quarante ans son ami et quarante jours son mari, le duc de Nivernois[1] nous a laissé également deux portraits d’elle. Le premier est celui d’une très jeune femme, on lui donne généralement la date de 1741, et il est en vers.

Sensible avec délicatesse
Et discrète sans fausseté,
Elle sait joindre la finesse
A l’aimable naïveté ;
Sans caprice, humeur ni folie,
Elle est jeune, vive et jolie ;
Elle respecte la raison,
Elle déteste l’imposture ;
Trois syllabes forment son nom[2],
Et les trois Grâces sa figure.

Quarante-cinq ans après la date de ce portrait, quand il eut perdu son amie, devenue sa seconde femme, le duc de Nivernois réunissait quelques opuscules d’elle en un petit volume publié en 1784, et y ajoutait une courte et touchante préface, adressée aux amis de la défunte, qui représente cette intéressante personne sous un autre aspect. « J’ai rassemblé, dit le duc, ces opuscules bien dignes d’être conservés comme des monumens précieux. Hélas ! c’est tout ce qui reste de la femme la plus parfaite qui ait jamais vécu. Je vous dédie ce recueil, à vous ses excellens amis, qui la pleurez presque autant que moi. Vous y trouverez à chaque ligne l’empreinte de son cœur, de son esprit, de ce caractère adorable et toujours égal qui faisait le charme de sa société et qui a fait pendant tant d’années le bonheur de ma vie. Vous ne lirez pas une seule page sans attendrissement, vous mêlerez encore vos larmes aux miennes. Je vous en remercie ; c’est la seule espèce de consolation que votre amitié puisse me donner. »

Il semble qu’une femme qui a inspiré des attachemens si vifs et si durables, dont le nom se rencontre souvent dans les mémoires

  1. Mme de Rochefort mourut mariée en secondes noces au duc de Nivernois ; mais comme elle ne porta ce nom que très peu de jours, du 14 octobre au 5 décembre 1782, nous lui laissons le nom sous lequel elle a été connue au XVIIIe siècle.
  2. Mme de Rochefort s’appelait Thérèse de son nom de baptême.