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s’est rendue complice. Géronte s’indigne, mais les deux couples se présentent devant lui également décidés cette fois à s’épouser, tous implorent le vieillard, qui se laisse fléchir à la condition que les deux mariages s’accompliront simultanément, et la pièce finit sur ce mot de Lindor : « allons tous souper sous promesse de mariage. » Essayons par quelques citations de donner au moins une idée du ton et du style de cette comédie. Écoutons Frontin-Duclos et Agathe-Forcalquier nous annoncer la maladie morale de Lindor et de Chloé.


FRONTIN.

Ma chère Agathe, je suis charmé de te trouver pour causer à mon aise avec toi et pour te confier mes peines.

AGATHE.

Qu’as-tu ? Est-ce que tu n’es pas content de l’a condition ?

FRONTIN.

Ah ! mon enfant, je me considérais comme un futur fermier-général en entrant chez Lindor, si je devenais le confident du seigneur de la cour le plus singulier et le plus fêté ; mais quel mécompte ! Je trouve un homme jeté dans la misanthropie par l’insensibilité, inquiet, égaré, qui a gardé pour lui les airs, pour moi les fatigues de la bonne fortune, et qui en a abjuré les agrémens pour lui, et les profits pour moi. Il fait des impertinences et des folies de sang-froid. Attaché comme un criminel au char du plaisir qui l’évite, le cœur gros de soupirs, il suit la routine d’un état que l’ivresse seule et la gaîté peuvent justifier.

AGATHE.

En contant les malheurs, tu contes mon histoire. Je crus, en m’attachant à la marquise, que j’allais nager dans un torrent d’or et de délices, si j’étais admise à sa familiarité. Dès le premier mois, elle m’abandonne tous ses secrets ; mais que vois-je ? Une affaire réglée qui laisse son cœur vide, du dérèglement d’imagination sans chaleur, une vanité paresseuse sans aucun revenu pour moi, une tristesse qui va jusqu’au désespoir, et qui est contagieuse au point que j’ai toujours envie de pleurer.

FRONTIN.

Mais c’est un mal que nos maîtres se sont donné. Cela est bien indigne à celui qui a été malade le premier.

AGATHE.

Vraiment, c’est un mal qui a un nom. Cela s’appelle être bla… bla… blasonné.

FRONTIN.

Non, blasé ; car mon maître répète sans cesse dans ses exclamations : « Oui, je suis blasé ; cela est bien cruel, je suis blasé ! »

Frontin n’est pas moins comique lorsqu’il cherche à guérir son maître de sa maladie. Il commence par le rudoyer.