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sur un genre de ridicule qu’on ne s’attendrait pas à rencontrer en France entre 1740 et 1745. Le mot lui-même n’est pas absolument nouveau, puisqu’il se trouve dans les poésies de Mathurin Régnier ; mais il s’y trouve avec un sens exclusivement matériel, tandis qu’il paraîtrait, d’après la comédie de M. de Forcalquier, que ce mot commence seulement alors à être adopté avec la signification d’une maladie morale. Voici le canevas de la pièce. Géronte-d’Ussé a deux nièces ; l’une, l’aînée, Chloé-Mme de Mirepoix, jeune veuve du marquis de Saint-Phar, est engagée depuis longtemps pour un second mariage avec le jeune seigneur Lindor-Nivernois. Les deux amans ne peuvent se décider ni à se séparer, ni à se marier, parce qu’ils sont tous deux blasés, Géronte, fatigué de leur hésitation, signifie à sa nièce qu’il faut qu’elle se marie le soir même, ou qu’elle quitte la maison, parce qu’il ne veut plus se charger de sa garde. La sœur cadette de Chloé, Lucette-Mme de Rochefort, qui est loin d’être blasée, voyant son oncle si pressé de marier sa sœur, se jette dans ses bras et lui déclare qu’elle ne demande pas mieux, quant à elle, que de se marier tout de suite, et elle lui apprend alors à sa grande surprise qu’elle aime passionnément le jeune Mémiscès[1], qui l’aime d’une passion égale, et qui est prêt à l’épouser. Cette révélation inattendue met en fureur le bonhomme, qui veut bien marier l’aînée de ses nièces, mais nullement la cadette. Il déclare à celle-ci qu’il la mettra au couvent ; elle trouve son procédé très perfide, et elle invoque l’appui de la soubrette Agathe-Mme de Forcalquier et de Mémiscès. La lutte s’établit dès lors entre Géronte et les deux couples, dont l’un refuse de se laisser marier par lui, et dont l’autre veut se marier malgré lui. Le contraste entre la liaison engourdie et ennuyée des deux blasés et la tendresse naïve et agitée des deux ingénus donne à cette pièce un agrément qui, s’il était accompagné d’un peu plus d’habileté dans l’intrigue, suffirait encore de nos jours à l’a faire réussir sur un théâtre. Mémiscès a vainement supplié Lindor de venir à son secours, tandis que Lindor non moins vainement cherche à le convertir à ses idées sur le néant du bonheur. Il s’introduit alors déguisé en fille et comme une cousine de la soubrette dans la maison de Géronte, qui, ne le connaissant pas, le charge précisément de garder sa nièce Lucette. La soubrette a obtenu de Chloé qu’elle promettra d’épouser Lindor, tandis que Frontin, valet de Lindor, travaille de son mieux à décider son maître au mariage. Toutefois, Géronte persistant toujours à ne pas vouloir marier Lucette, Agathe se décide à lui avouer la supercherie dont elle

  1. Ce nom, très bizarre pour un nom de comédie, a peut-être été choisi pour quelque motif particulier à la société de L’hôtel de Brancas ; le rôle était joué par M. de Duras.