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difficile. Les deux gouverneurs qui ont succédé à M. Hubert-Delisle appartenaient l’un et l’autre au corps des officiers supérieurs de la marine. L’un et l’autre étaient étrangers aux questions administratives et obligés de s’en remettre sur bien des points à la compétence spéciale du directeur de l’intérieur. M. de Lagrange a donc été, depuis dix ans, le véritable gouverneur. Profondément attaché au catholicisme, il a eu le tort de subordonner sa conduite en matière politique, administrative et financière à ses idées religieuses. Au lieu de rester dans la colonie l’homme de l’administration, il y est devenu, sans s’en douter peut-être, l’homme d’un parti, le chef véritable du groupe que M. Charles Desbassyns avait longtemps dirigé.

Qu’on se figure maintenant la situation dans laquelle se trouvait l’île de la Réunion dans les derniers mois de l’année 1868. Qu’on se représente cette colonie, privée depuis quinze ans de toutes les Libertés, de tous les droits dont elle avait joui à d’autres époques, n’envoyant pas de députés au corps législatif pour défendre ses intérêts les plus pressans et-pour faire valoir ses plus légitimes réclamations, ne nommant pas les conseillers-généraux et les conseillers municipaux qui disposent de ses ressources. Qu’on se représente cette population ruinée par plusieurs mauvaises récoltes consécutives, suivies d’une crise commerciale et financière, convaincue, à tort ou à raison, que sa ruine a été, non pas causée sans doute, mais aggravée par la mauvaise gestion des finances locales, ne pouvant modifier cette gestion, puisqu’elle est privée de ses droits électoraux, faisant remonter par conséquent la responsabilité de ses maux à une administration toute-puissante et à ceux qui ont été pendant- longtemps en possession de faire mouvoir à leur gré tous les fils de dette administration, c’est-à-dire au directeur de l’intérieur, au parti ultramontain et au clergé. Voilà la situation d’où vont sortir les déplorables événemens des 29 et 30 novembre, des 1er et 2 décembre 1868, voilà le terrain sur lequel l’explosion va avoir lieu.


II

Depuis près de six mois, la colonie était travaillée par une agitation croissante. La misère était arrivée à son comble. Les impôts rentraient plus que difficilement. Le budget colonial, plusieurs fois remanié ne parvenait pas à s’établir en équilibre. Une feuille clandestine, le Cri d’alarme, s’était livrée à des attaques très vives contre la plupart des chefs de l’administration, et n’avait même pas épargné le gouverneur. Le public toutefois était plus indulgent pour