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pas de passé, il ne laisse pas d’histoire, il avait dix ans ; mais c’était une espérance, et on sent bien, au langage des chambres et des corporations populaires, que les Belges, en voyant disparaître cet enfant royal, tournaient un regard un peu inquiet vers l’avenir. Si cet avenir devait n’être pas sans orages, la Belgique a déjà un passé assez honorable qui la défend. ch. de mazade.



ESSAIS ET NOTICES.

Pernette, par M. Victor de Laprade, de l’Académie Française,
1 vol. in-8o ; Didier et Cie.

Au temps déjà loin de nous où les esprits en France se prenaient d’une curiosité tardive pour les littératures étrangères, où chacun, même sans déserter le culte de nos grands modèles, avait à cœur d’apprendre ce qu’au-delà du Rhin ou de la Manche produisaient d’autres muses obéissant à d’autres lois, il nous souvient qu’un jour, avec un charme inexprimable, et comme transporté sous d’autres cieux, dans d’autres régions de l’art, nous dévorâmes un petit poème, enfant chéri de Goethe, le poème d’Hermann et Dorothée. Cette combinaison de l’épopée et de l’idylle, de l’épopée bourgeoise et de l’idylle héroïque, cette échappée de vue sur la révolution française formant le fond, l’arrière-plan du tableau ; ces reflets des malheurs d’autrui, ces peintures saisissantes des misères de notre émigration entremêlées de suaves amours, de champêtres parfums, de scènes d’intérieur, de familiarités naïves ennoblies et transfigurées sous l’ampleur des formes homériques, tout cela nous avait profondément séduit. Nous avions beau sentir ce qu’il y a de factice au fond de ces savans contrastes ; le flegme volontaire, l’impartialité calculée du poète, je ne sais quoi d’impersonnel dans l’expression des sentimens, avaient beau nous sembler suspects et nous tenir sur nos gardes, cet art si fin, si souple, cette exécution si puissante et cette vie, bien qu’artificielle, répandue si largement dans ces tableaux, nous avaient subjugué à tel point que de notre lecture la trace nous resta longtemps vivante dans l’esprit. Mais tout s’efface avec le temps, et depuis cette époque tant d’années s’étaient écoulées, le goût et la faveur des poésies germaniques s’étaient si fort calmés au souffle de la mode, que, tout en conservant pour le génie de Goethe nos sympathies et nos respects, nous ne pensions guère à Dorothée, lorsqu’il y a près d’un an nous fûmes convoqué par un de nos amis à la lecture d’un poème de sa façon, genre de plaisir qu’on ne refuse guère, mais qu’on redoute quelquefois. Nous avions cependant de bonnes garanties : ce n’était point un début, pas même un noviciat. Le talent éprouvé d’un maître en poésie nous promettait une œuvre de valeur, de beaux vers, un sentiment