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le duc de Valence avait fait bonne contenance, et avait gagné la dernière victoire de la royauté sur l’insurrection en Aragon et en Catalogne. Narvaez disparu, il ne restait pour porter le fardeau comme président du conseil que M. Gonzalez Bravo : ce n’était pas assez, quoique le nouveau premier ministre, avec une audace qui en imposait presque, se plût quelquefois à répéter qu’il montrerait ce que savait faire un chef de l’ordre civil pour tenir tête à l’orage. Un président du conseil civil, chose toujours grave et de mauvais augure en Espagne au moment du danger, — témoin M. Sartorius en 1854, témoin M. Gonzalez Bravo en 18681 En face du gouvernement reconstitué à la mort du général Narvaez, les progressistes conspiraient naturellement à Madrid ou dans l’émigration à Paris et à Londres. Le parti démocratique, qui avait assez grandi depuis quelque temps pour qu’on dût désormais rechercher son concours, restait à la disposition de tout mouvement révolutionnaire, ou, s’il avait l’air de résister aux avances des progressistes, c’était pour se faire compter un peu plus dans l’alliance. Les partisans de l’union libérale, qui venaient, eux aussi, de perdre leur capitaine, le général O’Donnell, mort quelques mois avant le général Narvaez, les unionistes, comme ils se sont appelés depuis, ne sortaient pas d’une certaine réserve ; mais, s’ils hésitaient encore, ils ne se méprenaient pas sur les événemens qui se préparaient, et comme la plupart des chefs étaient des généraux, ils se tenaient prêts à jeter dans la balance le poids de leur épée et de leur importance. D’autres libéraux modérés ne conspiraient pas ; ils voyaient le danger, ils sentaient que tout était perdu, si on ne s’arrêtait, et ils ne disaient rien parce qu’ils ne pouvaient rien, parce qu’ils auraient été aussi peu écoutés de ceux qui préparaient une révolution que de ceux qui la provoquaient étourdiment. A vrai dire, le mot de cette situation était partout, dans toutes les conversations, et ce mot, c’était que de jour en jour la crise définitive approchait pour la dynastie, que rien désormais ne pouvait sauver la reine.

Deux faits peu connus montrent à quel point cette idée était entrée dans tous les esprits et se mêlait comme un élément inévitable à toute la politique espagnole. Ce n’est plus un mystère aujourd’hui que depuis assez longtemps il y avait une singulière froideur entre le palais de Madrid et le palais de San-Telmo, à Séville, où habitaient le duc et la duchesse de Montpensier. Tout ce qui se faisait à Madrid était, vivement blâmé à Séville, où l’on entrevoyait les périls croissans de la situation. Le duc avait parlé, on lui reprochait même de trop parler, de trop s’agiter. Chose plus sérieuse et infiniment plus délicate, la duchesse s’était rendue à Madrid pour je ne sais quel événement de famille, et là aurait eu lieu entre les deux sœurs