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en écartant toute décision sur la forme de gouvernement, de sorte que l’Espagne se trouvait entre la monarchie qui venait de tomber, une monarchie nouvelle qu’elle ne connaissait pas, et la république, qui cherchait à se glisser entre les deux. C’était une combinaison merveilleuse fondée sur une neutralisation complète de toutes les idées et de toutes les forces avec des généraux pour arbitres ou pour dominateurs. Ces complications mêmes, il est vrai, auraient dû conduire à la seule solution décisive, à l’élection immédiate d’une assemblée par le suffrage universel, qu’on avait promise Malheureusement les vainqueurs de septembre, au premier moment, n’avaient pas une confiance entière dans le suffrage universel. Les uns craignaient qu’il ne fût absolutiste, les autres craignaient qu’il ne fût républicain, et d’un commun accord on éloignait le plus possible les élections. A défaut de cette réunion immédiate des cortès, il y avait encore un moyen de trancher la première de toutes les questions, celle de la monarchie ou de la république, c’était d’appeler le pays à se prononcer directement par un plébiscite. Cette idée était venue à quelques esprits, et M. Olozaga en était, je crois, le partisan zélé ; mais les démocrates s’indignaient aussitôt de ce qu’ils appelaient une surprise, ils menaçaient de rompre l’alliance. L’idée du plébiscite était abandonnée, et c’est ainsi que dès le premier jour on se trouvait lancé dans l’imprévu et dans l’indéfini avec un gouvernement qui pouvait tout, mais à la condition de laisser tout faire. C’est ainsi que cette révolution de 1868, puissante pour détruire, pour déchaîner toutes les questions, a gardé fatalement dans ses actes et dans ses allures la marque des confusions d’où elle est née. Elle a été à la fois audacieuse et incertaine.

Ce serait un soin inutile d’aller se perdre dans les détails de tout ce qu’a fait le gouvernement. Depuis quatre mois, l’Espagne a été livrée à l’expérimentation particulière du ministre de l’intérieur, M. Sagasta, — du ministre des finances, M. Figuerola, — du ministre de fomento, M. Ruiz Zorrilla, — hommes distingués, mais plus que novices, qui se sont agités de leur mieux, et ont remué les finances, l’administration, l’enseignement, les travaux publics, sans rien résoudre. Allons droit aux traits essentiels et aux conséquences de ce règne du provisoire.

La vie de l’Espagne pendant ces quatre mois, à vrai dire, se résume dans une question qui domine toutes les autres, celle de la république ou de la monarchie. Cette question existait-elle réellement lorsqu’on a fait la révolution ? On n’en croit rien en Espagne, on est même persuadé, pour ne citer qu’un fait, que, si le soir du combat d’Alcolea le duc de Montpensier se fût trouvé là, il eût été proclamé roi instantanément par l’armée victorieuse, et il eût été