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facilement accepté par le pays comme le chef désigné d’une monarchie libérale. L’erreur des chefs de la révolution, devenus bientôt les chefs du gouvernement, ce n’est pas sans doute de s’être abstenus d’enlever un dénoûment par surprise, comme ils le pouvaient, c’est de n’avoir pas eu dès le premier moment une pensée avouée, c’est d’avoir favorisé par leur attitude une confusion redoutable, c’est enfin d’avoir laissé s’étendre sur le fait même du maintien de la monarchie un doute qui n’existait réellement que sur le choix du prince qu’on appellerait à ceindre cette couronne momentanément tombée dans la poussière. Ils étaient certainement tous monarchistes au fond, ces hommes qui venaient de faire une révolution, et dans toutes les occasions, après comme avant leur entrée au gouvernement, ils le disaient. Ce n’était pas Serrano qui pouvait passer pour un fauteur de république, et Topete n’était pas un royaliste moins décidé que le duc de La Torre. M. Olozaga, à sa rentrée en Espagne, n’hésitait pas à proclamer hautement ses opinions monarchiques dans des réunions de Madrid et de Guadalajara. Prim lui-même, le plus suspect d’ambition personnelle, avait des idées absolument semblables, et ceux qui ne le croyaient pas ignoraient que pendant deux ans de conspiration il avait résisté toujours au parti démocratique, qui ne voulait pas que la monarchie figurât dans les programmes révolutionnaires. C’était lui qui l’un des premiers, dans une correspondance assez excentrique, écrivait en France que, « pour établir la république, il fallait des républicains, » et qu’il n’y en avait pas assez en Espagne. Il y a mieux, quelques-uns des démocrates les plus distingués, M. Rivero, M. Cristino Martos, M. Becerra, agissant en politiques plus qu’en théoriciens, se ralliaient à la monarchie comme à une nécessité du moment. Pour tous, la royauté, une royauté parlementaire et libérale bien entendu, sanctionnée par un vote national, ne répondait pas seulement à la situation intérieure de l’Espagne ; elle était une garantie devant l’Europe. C’était le gage de l’affermissement des conquêtes légitimes de la révolution.

Où donc était la difficulté ? Ils étaient tous d’accord sur la nécessité de la monarchie ; mais ils ne s’entendaient plus sur les moyens de refaire cette monarchie et sur le prince qu’on choisirait. Dans le premier moment, toutes les candidatures éclataient à la fois : celle du roi dom Fernando de Portugal, dont M. Olozaga restait le promoteur persévérant, celle d’un prince italien ou du prince Alfred d’Angleterre, celle d’Espartero lui-même, que certains progressistes mettaient en avant, celle du duc de Montpensier, qui avait plus d’un partisan dans le gouvernement. Les unes étaient sérieuses, les autres n’étaient guère qu’une fantaisie d’imagination des chercheurs