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le reste fut écrasé à Oplénatz. Les villages d’où étaient sortis les pillards eurent à subir de sanglantes représailles. Koussatka, la résidence du diacre, fut saccagée de fond en comble. Lui-même, on le cherchait partout, mais en vain. Était-il tombé dans quelque rencontre ? avait-il réussi à passer la frontière ? Enfin on le découvrit au fond d’une caverne où il se cachait misérablement, après s’être longtemps traîné dans les bois, blessé à la cuisse, dévoré par la fièvre et par la faim. Il fut conduit à Batotchina, où Milosch passait en revue les milices nationales qui venaient de châtier l’insurrection. Comme sa blessure l’empêchait de marcher, le prince le fit monter à cheval, et le présenta aux milices. Après avoir remercié les Serbes d’avoir si promptement répondu à son appel et si vigoureusement agi : « Voici l’homme, ajouta-t-il, qui m’a forcé de vous arracher à vos travaux. Je le remets en votre pouvoir. Traitez-le comme vous l’entendrez. Vous êtes libre de disposer de ses jours, » Un cri de vengeance s’éleva de tous les rangs, les fusils s’abaissèrent, et le diacre tomba foudroyé.

Aux mécontentemens que pouvait exciter l’administration de Milosch s’ajoutaient les colères des Grecs et de leurs partisans. De fanatiques esprits se persuadèrent que Milosch empêchait seul les Serbes de soutenir la révolution hellénique. Si un accident le faisait disparaître de la scène, quelle fortune pour les héros de la Morée ! Cet accident heureux, on pouvait le préparer. Les pensées vont vite quand des passions, même généreuses et nobles, sont irritées par le sophisme en des âmes sans scrupule. Tuer le despote Milosch, n’était-ce pas servir la cause de la Grèce chrétienne, cette cause qui transportait d’enthousiasme toute l’Europe libérale ? Les deux personnages qui s’attribuèrent ici le rôle d’Harmodius et d’Aristogiton étaient un Serbe et un Grec. Le Serbe, nommé George Tcharapitch, avait pris part à la révolte du diacre, et après la déroute d’Oplénatz s’était réfugié en Hongrie, dans le banat de Té-mesvar. Le Grec était un oertain Mirko, neveu du métropolitaen Agatangel, qui, venu en Serbie avec son oncle, y était demeuré après le départ du prélat, retenu, disent les chroniques, par la folle passion que lui inspirait la femme de l’un des juges du tribunal. Lié d’amitié avec un certain nombre de ses compatriotes établis comme lui à Belgrade, il tramait un complot contre Milosch quand la police du prince découvrit tout ; Mirko s’enfuit aussitôt avec la femme qu’il avait séduite, et chercha un asile dans le banat, où il trouva George Tcharapitch, Les deux ennemis de Milosch s’empressèrent de mettre en commun leurs désirs de vengeance. Une conspiration fut bientôt organisée. Ils avaient laissé à Belgrade deux de leurs compagnons, partisans exaltés de la cause grecque, qui avaient juré une haine implacable au prince des Serbes ; c’étaient