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Michel Vélisaliévitch et Pierre Radonatchitch, anciens maîtres d’école en Sirmie, qui faisaient maintenant le commerce de la charcuterie à Belgrade. Ils établirent secrètement des relations avec tous les partisans de la Grèce, avec tous les agens des hétairies ; les affaires mêmes de leur négoce, ce commerce de la chair de porc qui tient une si grande place dans les contrées du Danube, leur donnaient pour cela mille occasions favorables. Ils rédigèrent des proclamations qui faisaient appel aux passions viles avec une violence sans égale. C’était une liste de proscription. Les têtes les plus hautes étaient mises à prix, et les promesses étaient de nature à tenter les sicaires : 50,000 sequins d’or en pension annuelle à qui apporterait la tête de Milosch, 20,000 pour celle de Jovan, 20,000 pour celle d’Éphrem, 5,000 pour Vouitza, beau-frère du prince, et les principaux knèzes.

La conspiration grandissait dans l’ombre. Au mois de mars 1826, George Tcharapitch crut les choses assez avancées pour que sa présence fût nécessaire en Serbie. Il y rentra avec son frère et un Grec ami de Mirko. Ils avaient donné rendez-vous à leurs partisans dans les ruines d’un vieux château-fort à la cime du mont Avala. La police autrichienne, très attentive à toutes les manœuvres des agens grecs, prévint aussitôt le pacha de Belgrade, lui signalant même les principaux affiliés de Mirko et de Tcharapitch. Le pacha, qui connaissait déjà par l’émeute précédente le caractère hellénique de ces agitations, découvrit tout à Milosch. Avec un homme tel que le prince des Serbes, la répression devait être prompte et terrible. Michel Vélisaliévitch fut arrêté à Belgrade et conduit à Kragoujevatz pour y être jugé ; on avait trouvé chez lui les proclamations qui mettaient à prix la tête du prince. En même temps une escouade de pandours commandés par deux knèzes attaquait les conjurés dans les ruines d’Avala. Tcharapitch et son frère périrent en combattant, les autres furent pris et livrés à la justice serbe. On saisit en outre plusieurs affiliés sur divers points du territoire. Quelques semaines après, tous les complices, au nombre de vingt-trois, comparurent devant une sorte de cour martiale composée de knèzes et de kmètes. Vélisaliévitch, Radonatchitch, un troisième encore, échappèrent à la mort comme sujets étrangers ; mais ils subirent une peine cruelle : ils eurent les mains et la langue coupées. Les autres furent condamnés au dernier supplice, avec cette circonstance infamante que leurs cadavres resteraient exposés sur la roue. L’exécution eut lieu sur la grande place de Kragoujevatz. Horrible souvenir ! Kragoujevatz, la vraie ville serbe, qui est à Belgrade ce que Moscou est à Saint-Pétersbourg, Kragoujevatz, aujourd’hui célèbre par sa fonderie de canons, ses arsenaux, son activité militaire, a de sombres légendes en ses annales. C’est là, dans une merveilleuse