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porte-voix, de se rendre, que chacun d’eux recevrait un passeport et 500 louis d’or pour quitter le pays. L’ambassadeur leur envoya un parlementaire pour traiter de la capitulation sur ces bases, et les menaça, en cas de refus, de les pendre tous. Arnaud fit une réponse d’une énergie antique. « Nous ne sommes point sujets du roi de France, et, ce monarque n’étant point le maître de ce pays, nous ne pouvons faire aucun traité avec aucun de vos messieurs. Nous sommes dans les héritages que nos pères nous ont laissés de tout temps, et nous espérons, avec l’aide de celui qui est le Dieu des armées, d’y vivre et d’y mourir, quand même nous ne resterions que dix pour les défendre. Si votre canon tire, nos rochers n’en seront point épouvantés, et nous entendrons tirer. »

Mais que pouvait cette poignée d’hommes contre une armée française ? Le 14 mai, après un assaut terrible, la dernière retraite vaudoise fut emportée. Heureusement pour les assiégés, la nuit vint, et un brouillard, comme il s’en élève vers le soir sur les Alpes, enveloppa la montagne avant qu’on eût pris le retranchement qui en couronnait le sommet. Le lendemain, quand l’ennemi pénétra dans la dernière redoute, il n’y trouva plus les vaudois : ils avaient fui pendant la nuit par un escarpement tellement difficile à traverser que les Français n’en pouvaient croire leurs yeux, et on les aperçut filant déjà comme un troupeau de chamois derrière le Gugnivert et se dirigeant sur le massif des Alpes centrales. Ils y errèrent pendant trois jours, et le quatrième, étant descendus dans l’ancienne forteresse naturelle des barbes, au Prà del Tor, ils y apprirent la grande nouvelle apportée par un envoyé du général piémontais Pallavicino : Victor-Amédée II venait de déclarer la guerre à la France ! Il avait enfin éclaté à la nouvelle prétention de Louis XIV d’occuper Verrua et la citadelle de Turin. « Il y a assez longtemps qu’on me traite en vassal, dit-il ; maintenant on veut faire de moi un page ; le temps est venu de montrer ce que je suis. » Dès lors la cause vaudoise devint la sienne propre. Il dit au capitaine vaudois venu auprès de lui pour organiser une guerre de guérillas sur les derrières de l’armée française : « Vous n’avez qu’un Dieu et un prince à servir. Servez Dieu et votre prince fidèlement. Jusqu’à présent nous avons été ennemis, désormais il nous faut être bons amis. D’autres ont été la cause de vos malheurs ; mais si, comme vous le devez, vous exposez vos vies pour mon service, j’exposerai aussi la mienne pour vous, et tant que j’aurai un morceau de pain, vous en aurez votre part. »

L’heureuse nouvelle ne tarda pas d’arriver aux vaudois du dehors, aux dispersés de l’Israël des Alpes. Ils se hâtent vers la patrie rouverte, ils arrivent de tous les points de la dispersion, du Brandebourg, de la Westphalie, du Wurtemberg, de la Hollande et