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vu Perim et Malacca, touché à Aden, à Pointe de Galles, à Singapore, contemple avec une joie indicible le drapeau qui flotte au sommet du cap Saint-Jacques, abritant plus de 3 millions d’hommes, sujets ou protégés de la France, dont nous avons su respecter les droits, les mœurs et les intérêts en élargissant tous leurs horizons.

Je ne me propose ni d’exposer ici la situation de la Cochinchine française, ni d’en indiquer l’avenir tel qu’il apparaît à quiconque a connu et la fécondité de cette terre et les heureuses aptitudes de la race intelligente qui l’habite. C’est une œuvre déjà accomplie dans la Revue[1] ; mais nos possessions ont une annexe, le Cambodge, dont l’importance est beaucoup moins comprise. L’éclatant succès de l’amiral Rigault de Genouilly à Touranne, l’heureuse inspiration qui le conduisit à Saigon, la victoire décisive remportée à Kihoa par l’amiral Charner, tous ces faits sont désormais consignés dans nos fastes militaires, et n’en constituent pas les pages les moins glorieuses ; mais on ignore généralement comment nous avons acquis le Cambodge, ce complément nécessaire d’un territoire dont il pouvait seul assurer la sécurité. J’essaierai de le dire. Ce pays a été d’ailleurs le point de départ de la commission chargée d’explorer jusqu’à ses sources le fleuve immense qui le féconde ; on ne s’étonnera donc pas si admis à y séjourner avant le commencement de ce long voyage, je lui consacre une étude particulière.


I

Les six provinces qui composent aujourd’hui notre colonie de Cochinchine faisaient autrefois partie du royaume du Cambodge. Il n’y a pas encore deux cents ans que l’empereur d’Annam, inquiet du caractère turbulent d’un grand nombre de Chinois qui fuyaient leur pays pour ne pas se soumettre aux Tsing, victorieux de la dynastie des Ming, leur assigna fort habilement au midi de ses états des terres qui ne lui appartenaient pas. Ils s’y établirent, et chassèrent les habitans. Plus tard, le gouvernement annamite ordonna de « lever et de réunir des gens du peuple, surtout parmi les vagabonds, depuis la province de Quang-Binh, au-dessus de Hué, jusqu’au Binthuan, et de les transporter comme colons dans ces nouvelles provinces[2]. » Ces vagabonds ont fait souche d’honnêtes gens ; ils se sont multipliés en moins de deux siècles sous l’influence de la législation chinoise, qui consacre et sauvegarde le

  1. Voyez la Revue des 15 novembre 1862,1er mai 1864, 15 mars 1867 et 15 février 1868.
  2. Histoire et Description de la Basse-Cochinchine, traduction de M. Aubaret.