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Byron n’avait garde de renoncer entièrement aux tons sérieux, il y a des larmes dans Don Juan ; il en fait aussi verser aux autres, car sa muse n’est pas le papillon dont il parle, qui a des ailes et pas d’aiguillon ; c’est la guêpe, dont la piqûre est redoutable. Son entreprise était nouvelle, non par le ton plaisant qu’il répandait sur le poème entier, mais par le mélange du badinage et des traits acérés. Le rire constant eût manqué chez lui de sincérité aussi bien que la raideur soutenue de Childe-Harold, et l’on ne conçoit pas Byron devenu l’amuseur inoffensif d’un public désœuvré. Ne prenez pas sa parole au pied de la lettre quand il reconnaît pour son modèle ce bel esprit florentin, ce chanoine de cour, Pulci, dont Voltaire, qui suit son humeur, et Ginguené, qui suit Voltaire, ont fait un libre penseur. Byron a pris à Pulci sa stance, mais il y a en lui bien autre chose, et Arioste, et Juvénal, et même Shakspeare. Il es fait succéder l’un à l’autre avec un tel courant, il a tant de vie et de variété, qu’il est presque impossible de tirer de son poème des extraits. Et c’est l’un des points où il diffère le plus de ses devanciers italiens. Ceux-ci ne manquent jamais de vous quitter au moment où le récit vous intéresse le plus pour reprendre quelque autre fable ; on peut prévoir l’instant où le fil sera brisé, et où les morceaux se détacheront d’eux-mêmes, comme les marbres blancs et noirs qui composent la marqueterie d’une cathédrale de leur pays. Les méandres capricieux de Byron sont les accidens d’une libre causerie ; il n’a pas de méthode dans l’irrégularité. D’ailleurs il ne mêle pas les fils différens de cinq ou six sujets ; il passe de lui-même à son héros, comme du drame à la comédie et du rire aux larmes. Ainsi faisait-il dans Childe-Harold, et le public était habitué de longue main à partager sa curiosité, sans qu’elle en fût amoindrie, entre le héros et son poète. Était-il possible à d’autres d’en faire autant ? Byron a eu des imitateurs, mais bien peu ont été comme lui une puissance avec laquelle un grand pays fût obligé de compter. Il faut être tout à fait hors de pair pour espérer d’imposer aux hommes les caprices de sa personnalité. Voilà le genre composite, éloquent et moqueur, étranger et anglais par moitié, dont le premier exemple était offert aux lecteurs naïvement sérieux de l’Angleterre par un écrivain accoutumé à leur rapporter toujours du dehors quelque riche présent de poésie exotique. Sa tentative avait le caractère d’une surprise, et l’esprit anglais, qui est souvent tout d’une pièce, se trouva en défaut pour juger sans passion une œuvre pleine d’évolutions inattendues. Aux contradictions de l’auteur, le public répondit par des contradictions. Byron disait ici qu’il n’avait aucun dessein arrêté, sinon de s’amuser, et là il priait l’auditoire de lui laisser le temps de développer la leçon morale qu’il