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volontiers : de la double hauteur de ses abstractions et de sa méthode, les individus lui paraissent petits. Cependant, en faveur même de Byron, il hésite à pousser l’admiration jusqu’au bout, et, quoiqu’il vante à bon droit cette œuvre dernière, il croit qu’elle s’est arrêtée bien à temps pour échapper à l’ennui. De là cette conséquence, au premier abord singulière, qu’il vaut mieux que l’histoire de lady Adeline, sur laquelle devait rouler la morale de l’ouvrage, ne soit pas achevée, et que cette charmante Aurora, qui, suivant un mot de Frédérika Bremer, est « une étoile dans le ciel nocturne de Byron, » s’éteigne soudainement sans nous apprendre pourquoi le poète l’avait placée en son firmament poétique. Ne semble-t-il pas qu’il soit ici nécessaire de prononcer avec les contemporains que le poème devait s’arrêter au dixième chant, sur le seuil de l’Angleterre, ou de regretter que l’épisode anglais si curieux, si rempli, n’ait pas été terminé ?

Il y a ici, ce nous semble, une difficulté qui disparaîtra pour ceux qui voudront faire l’analyse de l’œuvre entière. Si l’on juge les derniers chants de Don Juan par comparaison avec les premiers, l’œuvre languit ; plus de satires violentes, plus de ces peintures de tendresse et d’horreur qui ressemblaient à une succession de tableaux de Corrège, et de Salvator Rosa. C’est un autre ordre d’idées qui commence : le poète s’intéresse désormais aux menus détails de la vie, il s’occupe de réalités ordinaires et communes. Reste à savoir quel parti la poésie en peut tirer. L’unité n’est pas plus dans Don Juan que dans Childe-Harold, et Byron reste le poète que son génie met à la merci des circonstances par les facultés même dont elles provoquent en lui le développement. Son dernier poème se divise réellement en deux parties comme le premier, avec ceci de particulier qu’elles ne sont pas séparées par l’intervalle de plusieurs années. Si les différences profondes des deux moitiés de Childe-Harold n’ont pas été généralement saisies, comment nous étonner que l’on n’ait pas songé à rapprocher, excepté pour déclarer l’une moins intéressante que l’autre, les deux parties de Don Juan, qui ont paru livre par livre et sans interruption ?

Au quatrième chant, il y a un mot qui marque le caractère de toute la première partie : « comme les vagues viennent à la fois se briser sur la grève, ainsi les passions à leur extrême limite se précipitent en poésie, et la poésie n’est que passion… » Ce mot est vrai de Byron tout entier, mais surtout dans les neuf premiers chants de ce poème. Passion, fougue, colère (car en anglais passion signifie tout cela), voilà ce qui a rempli jusque-là sa vie et ses œuvres. î)ans la première partie de Don Juan, combien de fois n’écrit-il pas, comme Juvénal, sous la dictée de la colère, facit