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ne pouvaient sortir faute de vivres, ceux pour lesquels les vivres étaient prêts attendaient inutilement leur mâture. On donnait à des vaisseaux des mâts de frégates, tandis que de légers bâtimens dont on avait hâte de se servir étaient surchargés de voilure. D’ailleurs les bois que fournissaient les contrées du nord, la Suède, la Norvège, la Russie, n’arrivaient plus, interceptés par les croisières anglaises, qui déjà réclamaient sur les neutres le droit de visite. C’est à ce moment, où la marine d’escadre, laissée sans secours et sans argent, avait presque cessé d’exister, que M. de Pontchartrain lui fit subir une transformation qui lui donna quelques années d’une existence glorieuse et nouvelle. Malheureusement il était facile de prévoir qu’elle aurait les plus ruineuses conséquences.


I

En 1706, M. de Pontchartrain déclara tout à coup que le roi mettait à la disposition des armateurs de son royaume ses vaisseaux, frégates et bâtimens légers, ses arsenaux, agrès et munitions. Les équipages de ces bâtimens, qui ne devaient cesser d’appartenir au roi, seraient soldés et entretenus en tout ou en partie, selon les conditions du contrat, par les armateurs ; les officiers, relevant de l’amirauté, pourraient être pris parmi les officiers de la marine royale ou parmi ceux de la marine de commerce ; on admettrait même ces derniers dans la marine royale avec des grades correspondant à ceux qu’ils occupaient. Le roi s’engageait à supporter seul les pertes de capture ou de naufrage ; les armemens et les réparations devaient se faire de compte à demi dans certaines circonstances. Enfin un cinquième sur toute prise, aux termes de la déclaration, serait prélevé pour le compte du roi. Une marine de course incomparable sortit de ces ordonnances ; mais il s’ensuivit une perturbation profonde et la désorganisation presque complète du corps des officiers de la marine royale, qui jusque-là, sauf de rares exceptions, avaient tous été recrutes dans la noblesse. Ces officiers virent avec douleur les nouvelles ordonnances, ils comprirent qu’elles élevaient seulement une marine d’aventure sur les débris de nos véritables forces. Ils ne s’accommodaient en même temps ni des nouveaux camarades qu’elles leur donnaient, ni de la position inaccoutumée qu’elles leur faisaient. Aussi, pendant que les plus élevés en grade, à qui le commandement de navires isolés ou de petites divisions ne pouvait naturellement appartenir, se retiraient dans leur province ou à la cour, la plupart des autres abandonnèrent une carrière qui ne leur convenait plus, et continuèrent à servir le roi dans les armées de terre. Ceux qui restèrent, retenus par un amour sérieux de leur carrière ou leur ambition, n’acceptèrent la marine