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Forbin et le comte d’Ilié se réservèrent le commandant. Tourouvre, Bart et les 4 barques longues devaient porter secours où besoin serait, et les corsaires se jeter sur la flotte marchande dès qu’ils verraient qu’on avait l’avantage.

La première partie de l’attaque fut exécutée à la lettre. MM. de Roquefeuille et de Nangis, secondés par Tourouvre, enlevèrent l’anglais à l’abordage après l’avoir canonné avec une parfaite précision. A l’arrière-garde, M. de Vesin fut tué à la première décharge. M. d’Acy, son second, fut blessé presque aussitôt ; mais il n’en continua pas moins à poursuivre, en le canonnant, le bâtiment qu’il combattait, et qui prit chasse avec une marche supérieure. Hennequin, dont le vaisseau n’était pas fin voilier, abandonna la poursuite, et, voyant le chevalier de Forbin vivement pressé, vint à son secours. Celui-ci, mal secondé par le comte d’Ilié, n’en avait pas moins échangé avec son ennemi un feu de mousqueterie et de canon excessivement meurtrier. Fatigué de ce carnage inutile, il fit tous ses efforts pour tenter l’abordage. Au moment où, avec son sang-froid ordinaire, il donnait l’ordre de laisser tomber les grappins, Forbin aperçoit dans la batterie de l’ennemi un homme vêtu d’un habit gris-de-fer qui excitait les siens l’épée à la main. Ne doutant pas que ce ne fût le capitaine ; il tire sur lui un coup de fusil qui l’atteint. A peine cet officier fut-il tombé qu’un grand désordre se manifesta sur son bord. Forbin en profita pour lancer ses abordages, d’Alonne et d’Escalis en tête, et le vaisseau allait se rendre lorsque les grappins se rompirent. Forbin, n’ayant plus près de lui que la moitié de son équipage, et voyant le reste, avec ses meilleurs officiers, exposé au plus vif danger, car les ennemis, qui avaient repris courage, les chargeaient vigoureusement, entraîné d’ailleurs sous le vent par un courant de marée, Forbin prit le parti de courir un bord et de revirer pour essayer un second abordage. À ce moment, heureusement le grand mât de l’ennemi tomba, et, Hennequin et Tourouvre l’ayant abordé, il amena son pavillon. D’Alonne seul demeurait avec quelques hommes à bord du vaisseau anglais. D’Escalis, tué d’un coup de fusil, avait payé d’une belle mort sa gloire récente. On y trouva également de Sainte-Honorine, lieutenant de vaisseau, qui avait eu les deux bras et les deux jambes emportés. Il vécut quelques jours encore après de cruelles opérations. Forbin adoucit toutefois ses derniers instans. Ayant écrit au ministre que ce noble débris humain n’aurait pas longtemps à jouir des grâces qu’on lui accorderait, il put déposer sur la poitrine de Sainte-Honorine mourant la croix de Saint-Louis et voir ses yeux s’animer d’un dernier éclair quand il lui remit le brevet de capitaine de vaisseau. Nos corsaires, qui avaient attaqué les marchands, avaient enlevé 22 bâtimens, et ce fut avec cette flottille de prises que Forbin revint à