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plaçant entre elle et l’ennemi, s’étaient rangés en ligne. Au centre était le Cumberland, de 82 canons, commandé par l’amiral Richard Edwards. Du Guay-Trouin, après avoir désigné à chacun de ses capitaines le vaisseau qu’il devait attaquer, se réserva le Cumberland en recommandant à M. de La Jaille, qui montait la Gloire, de lui jeter, aussitôt qu’il serait accroché, une partie de son équipage. Enfin, songeant aux intérêts de ses armateurs, il prescrivit à M. de Nesmond, qui commandait l’Amazone, la meilleure frégate de son escadre, de se lancer au milieu du convoi et de faire le plus de prises qu’il lui serait possible, si toutefois aucun des vaisseaux du roi n’avait besoin de son secours. Ces instructions une fois données, Du Guay-Trouin, ayant fait coucher tout son monde sur le pont et dans les batteries, s’avança sur le Cumberland sans tirer un coup de canon. Il reçut tranquillement la bordée du Chester, matelot d’arrière de l’amiral, et celle du Cumberland lui-même. Debout sur sa dunette, observant avec joie qu’aucun boulet ne lui a fait d’avarie majeure, il semble habiter et diriger seul son vaisseau, dont le silence menace et déconcerte l’ennemi. Quand il n’est plus qu’à quelque distance, il feint tout à coup de plier. Le Cumberland, trompé, le poursuit, mais au même instant Du Guay-Trouin revient sur lui, et engage dans ses grands haubans le beaupré du vaisseau anglais. Ce mouvement inattendu et plein d’audace rend inutile toute l’artillerie du Cumberland pendant que celle du Lys peut au contraire l’enfiler de bout en bout. En effet, les matelots, qui se sont relevés, courent à leurs fusils, à leurs pièces chargées de mitraille, et jonchent le vaisseau ennemi de morts et de blessés. Il n’y a plus qu’à saisir à l’abordage le Cumberland, désemparé et sanglant ; mais son beaupré, qui s’est rompu dans les haubans du Lys, n’offre qu’un chemin étroit et dangereux. Un contre-maître, Honorât Toscan, s’y élance le premier, et, profitant de la consternation répandue à bord par les décharges du Lys, court au pavillon, dont il coupe la drisse. Il va s’en emparer lorsque quatre soldats s’avancent sur lui le sabre haut. Sans perdre la tête, il jette le pavillon à la mer, y plonge ensuite, le rattrape, gagne à la nage un canot qui se trouve démarré derrière le vaisseau, en hisse la voile, et rejoint avec son glorieux, trophée l’Achille, qui est en train de se réparer. D’autres avaient suivi Honorat à bord du Cumberland, mais en petit nombre à cause de la difficulté du passage. Alors M. de La Jaille, qui devait mettre son monde à bord du Lys, ne pouvant le faire à son aise à cause de la position de ce navire, prend le parti d’élonger le Cumberland, et vient placer son beaupré sur la poupe de Du Guay-Trouin. Le Cumberland se rend alors. Après ce premier avantage, Du Guay-Trouin déborde du vaisseau anglais et regarde où en est le combat afin de courir où il y aura besoin.