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sur la côte. Peut-être aussi voulaient-ils, plutôt que de retourner en France sans avoir rien tenté, risquer leur dernier enjeu sur la terre natale et y périr ou y triompher ; mais Forbin, qui répondait sur sa tête de la vie du roi, et qui sentait que débarquer cette poignée d’hommes en Écosse, c’était la vouer à une perte certaine, se refusait à leurs sollicitations. Il descendit chez le prince, qui, au milieu de ces événemens, témoigna beaucoup de faiblesse, et, lui montrant le chemin que suivait la flotte anglaise, il lui expliqua que, pour en venir aux mains, elle serait obligée de redresser sa ligne au plus près, ce qui lui ferait perdre de sa vitesse, et qu’alors, si on ne la devançait pas, il serait toujours possible de le mettre à terre ou de le faire changer de bâtiment. En même temps il envoya de Nangis avec le vaisseau qu’il montait, le Salisbury, attaquer, pour la retarder, la tête de la ligne anglaise. Nangis, sacrifié au salut commun, ne se rendit qu’après un beau combat et entouré par quatre adversaires ; mais, grâce à lui, Forbin avait gagné du terrain, et, modifiant à l’entrée de la nuit sa route vers l’est-nord-est, il échappait à l’ennemi, et ramenait son escadre saine et sauve à Dunkerque trois semaines après son départ. L’expédition n’avait pas eu un résultat funeste. C’était beaucoup pour les armes du roi ; mais ce n’était pas assez pour les armateurs, qui avaient fourni leurs corsaires de confiance, et qui se trouvaient ruinés. Afin de les indemniser, Forbin résolut de reprendre la mer malgré les Anglais, qui bloquaient Dunkerque avec 40 bâtimens. Malheureusement les vaisseaux étaient trop gros pour passer à toute heure par-dessus les bancs de sable qui sont à l’entrée de la rade, et de plus le ministre ne voulait pas les compromettre dans une nouvelle sortie. Le temps se passa en délais. Quant à Forbin, loin d’avoir obtenu son grade de lieutenant-général, il se voyait, comme chef d’escadre, accusé à la fois par les ministres de la guerre et de la marine, qui se renvoyaient de l’un à l’autre l’insuccès de l’expédition. Abreuvé de dégoût, n’envisageant plus d’issue à sa carrière, il profita de la permission qu’on lui avait laissée de se choisir un successeur, et nomma M. de Tourouvre au commandement de l’escadre. Il sollicita en même temps sa retraite et alla vivre en Provence, son pays natal, dans une belle habitation qu’il possédait près de Marseille. Pontchartrain, qui n’avait point consenti à ce que l’escadre prît la mer pendant la belle saison, voulut qu’elle armât et qu’elle sortît en hiver. Tourouvre obéit ; mais il la ramena au bout d’un mois de croisière, n’ayant pas fait une seule prise, avariée par la mer, et exigeant des réparations trop coûteuses pour qu’on songeât à les entreprendre.

En même temps que le comte de Forbin était parti pour son