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arrive la période du déclin, les choses humaines cessent de se conformer à nos vœux ; il faut expier les fautes passées et devenir modeste, s’enfermer dans sa forteresse et supporter les plaintes, subir les assauts et rester calme, riposter et toujours sourire. Pour jouer cette contre-partie inévitable de tout grand rôle, il faut des qualités que jamais l’audacieuse Agrippine n’a possédées. Tragique, véhémente, héroïque, sans frein, elle était impropre à toute espèce de défense. Elle se contenait pour mieux éclater, elle flattait pour menacer plus violemment ; au lieu d’attendre l’attaque, elle prenait l’offensive ; la fureur du lendemain détruisait l’œuvre prudente de la veille ; elle ressemblait à la tigresse aux abois. Cette longue expiation est un spectacle attachant et pathétique, parce que l’orage croissant fait raidir son caractère indomptable et ajoute à sa fierté. A mesure que les points d’appui qu’elle se crée sont brisés entre ses mains, elle en cherche d’autres, et loin de ménager Néron et ses amis, elle veut des otages pour les effrayer. Elle caresse Britannicus ; on le lui tue. Néron veut répudier Octavie ; elle la recueille et la fait chérir des Romains. Acté, favorite de Néron, est l’objet tantôt de ses complaisances, tantôt de ses imprécations. En vain Locuste occupe une chambre du palais et porte une secrète terreur dans son âme. En vain le plafond de sa chambre a été scié comme pour l’écraser par accident, D’un front d’autant plus intrépide, elle continue la lutte. Elle cherche dans les plus vieilles familles patriciennes un candidat à l’empire, elle s’entoure de mécontens, elle s’attache par des présens les centurions et les hommes de guerre en congé. Néron riposte en lui retirant sa garde germaine, en la reléguant dans la maison d’Antonia, en écartant d’elle les visiteurs et les cliens. Ses voisins sont excités à lui intenter des procès ; des vers injurieux sont chantés le soir autour du jardin de celle qui commandait jadis à l’univers. Si, par un brusque retour, Agrippine ouvre à son fils son cœur et son trésor, veut le ramener par la douceur et la séduction, l’arracher à ses pédagogues en le jetant au milieu des plaisirs, Néron, averti du piège, se retire, et la haine reparaît entre eux plus sauvage. Un jour, sur la dénonciation de Silana, qui dévoile ses complots, Agrippine doit subir un interrogatoire ; les prétoriens envahissent sa demeure ; Burrhus, pour la sauver du premier emportement de Néron, a juré de la tuer, s’il la trouva coupable. Au lieu de répondre à Burrhus et de se justifier, Agrippine éclate en reproches, confond les ingrats ; elle accuse, elle se redresse avec une éloquence et une majesté terribles ; elle fait exiler Silana et tuer le délateur que Silana a mis en avant. Enfin, seule contre tout l’empire, quand les dernières ressources de son génie sont épuisées, elle en vient à méditer un inceste. Belle encore, désirable, parée comme une courtisane, elle essaie, disent