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CARACTERES
ET
PORTRAITS DU TEMPS

HECTOR BERLIOZ

Tout idéalisme a son évangile de la passion, et les choses continueront ainsi jusqu’à la fin des siècles. Aspirer, tendre vers les hauteurs sera toujours le fait d’une minorité ; quiconque s’en va par les rues criant excelsior commence par effaroucher la clientèle. Les articles de mode, à la bonne heure ! Quant à l’idéal, il faut en prendre son parti, c’est une marchandise peu goûtée, dont la production reste pour compte à ceux qui la fabriquent, l’offre sur le marché dépassant de beaucoup la commande. Tous les arts sont soumis à cette loi ; tous en souffrent, et particulièrement la musique, qui, par suite de conditions spéciales, éprouve une plus grande difficulté d’être. Le peintre et le statuaire ont les expositions, à défaut des expositions la devanture du marchand de tableaux, où les refusés trouvent asile pour en appeler du jury aux passans. Le musicien ignore ces aubaines. S’il écrit des opéras, on sait ce qui l’attend dans le cabinet des directeurs de théâtre. S’il en veut à la musique instrumentale, libre à lui de symphoniser tout à son aise, à la condition qu’il aura de quoi payer les frais de copie, l’orchestre, la salle, tout un personnel de concert, et recommencera le jeu par intervalle, car ne livrer qu’une bataille, autant vaut rien. Une œuvre symphonique a des secrets qu’au premier abord elle ne livre pas ; il y faut revenir, y pénétrer. Qu’est-ce qu’une première audition ? A peine a-t-on pu se rendre