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presque. « Tout ce qui est divin est envieux, » dit Hésiode. Platon, il est vrai, combat cette opinion dans le Phédon et le Timée, et déclare que l’envie est reléguée hors du cœur des olympiens ; mais Platon ne parle que des dieux antiques, et nous autres, c’est aux dieux modernes que nous avons affaire. Quoi qu’il en soit, cette lutte pour les règles entre les deux hommes qui se sont le plus moqués de la syntaxe restera comme une des plus amusantes comédies de notre âge. Tant de bile et de colère pour des dissonances, quand on n’a fait soi-même toute sa vie qu’abuser outrageusement de ces moyens extrêmes ! Un Cherubini ne s’exprimerait pas autrement que M. Richard Wagner dans sa critique. D’autre part, écoutez le Credo de Berlioz, ou, pour mieux dire, son Non Credo. « Si l’école de l’avenir vient vous dire : — Il faut faire le contraire de ce qu’enseignent les règles ; on est las de la mélodie, on est las des dessins mélodiques, on est las des airs, des duos, des trios, des morceaux dont le thème se développe régulièrement ; on est rassasié des harmonies consonnantes, des dissonances simples, préparées et résolues, des modulations naturelles et ménagées avec art. Il ne faut tenir compte que de l’idée, ne pas faire le moindre cas de la sensation ; il ne faut accorder aucune estime à l’art du chant, ne songer ni à sa nature ni à ses exigences. Il faut dans un opéra se borner à noter la déclamation, dût-on employer les intervalles les plus inchantables, les plus saugrenus, les plus laids. Il ne faut jamais s’inquiéter des possibilités de l’exécution. Si les chanteurs éprouvent à retenir un rôle, à se le mettre dans la voix, autant de peine qu’à apprendre par cœur une page de sanscrit ou à avaler une poignée de coquilles de noix, tant pis pour eux, on les paie pour travailler, ce sont des esclaves. Les sorcières de Macbeth ont raison : le beau est horrible, l’horrible est beau. Si telle est cette religion, très nouvelle en effet, je suis fort loin de la professer. Je n’en ai jamais été, je n’en suis pas, je n’en serai jamais. Je lève la main et je le jure ; Non credo ! »

On croirait entendre parler un Lesueur : De qui se gausse-t-on ici ? Du public ? Je le crains. De semblables incartades, par malheur bien souvent renouvelées, ont fini par donner à cet art de l’avenir un caractère de charlatanisme qui n’excuse que trop tous les méchans sarcasmes du présent. Encore, dans toute cette polémique de mauvais goût, Berlioz ne nomme-t-il personne. Libre à chacun de deviner quel est l’Achille que ce fougueux Hector s’efforce d’atteindre de ses traits : toujours est-il que l’apôtre Richard Wagner ne figure pas nominalement dans ce manifeste qui peut également s’appliquer à l’abbé Liszt, à M. Hans de Bulow et à tous les membres de la paroisse. On a prétendu que Berlioz aurait fulminé cette bulle à la suite d’une conversation très animée au bout de laquelle un enragé partisan se serait écrié, lui parlant de Wagner : « Vous aurez beau faire, il est plus fort que vous ! » L’anecdote court