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sieur. Je veux saisir moi-même cette occasion de regretter tout ce que j’ai pu dire d’amer ou de trop vif dans mes polémiques antérieures, malgré tous mes efforts pour être juste et respectueux.

Cela dit, je demande sur quoi s’appuient les accusations qui précèdent. Elles s’appuient sur cette affirmation que les théologiens ne sont pas libres, et sur un exemple que vous citez pour faire comprendre l’aveuglement ordinaire de la théologie. Voici vos paroles : « Pour ne citer qu’un exemple, le Jésus de la théologie commence, poursuit, achève sa mission avec une force toute divine : sauf un accès de défaillance au jardin des Oliviers et un cri de désespoir sur la croix, il conserve une foi et une espérance indomptables jusqu’au dernier soupir, et meurt en voyant les cieux ouverts, et le Père qui tend les bras à son Fils ressuscité. N’est-ce pas seulement le Jésus de saint Luc et de saint Jean qui montre cette confiance et cette sérénité? Dans les évangélistes saint Matthieu et saint Marc, où se laisse entrevoir la réalité historique à travers une tradition plus fidèle, le drame de la passion est autrement sombre et désolant ; là il n’est question ni de résurrection ni de glorieuse ascension au ciel avant la mort de Jésus. Quelle fut sa dernière pensée, son dernier sentiment sur la croix? Est-il mort radieux et triomphant ou dans l’accablement du désespoir? Malgré les contradictions des Évangiles, la théologie n’a aucun doute; mais la science n’a point la même intrépidité d’affirmation ; elle hésite encore tout en inclinant vers la seconde hypothèse[1]. »

Puisque vous ne citez contre nous qu’un exemple, je ne citerai contre vous, monsieur, que cet exemple même.

Les Évangiles, dites-vous, se contredisent, car en saint Matthieu et en saint Marc il n’est question ni de résurrection ni de glorieuse ascension au ciel avant la mort de Jésus, tandis qu’en saint Luc et saint Jean Jésus-Christ annonce lui-même sa résurrection prochaine. La science voit « ces contradictions des Évangiles; » mais la théologie n’en voit rien, et c’est ainsi que, pour créer un Jésus de convention, « elle choisit à son gré entre des textes différens et parfois contradictoires[2]. »

Vous allez être étonné vous-même, monsieur, d’avoir ainsi parlé. Que n’avez-vous pensé à vérifier ces assertions avant de les énoncer contre nous, et cela, comme exemple unique, au nom de la critique et de la science ! Cinq minutes suffisaient pour voir que Jésus-Christ annonce sa résurrection aussi bien, et par les mêmes termes, dans les deux premiers Évangiles que dans les deux derniers. Vous eus-

  1. Revue des Deux Mondes, p. 302.
  2. Ibid., p. 302.