Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’exégèse est lui-même une preuve qui s’élève contre la thèse de la théologie orthodoxe, en ce qu’il n’est pas besoin d’une interprétation aussi ingénieuse, aussi subtile, pour tirer d’un texte une doctrine qui y serait réellement contenue. Il y a même encore loin de la doctrine théologique de Jean au dogme qui fait le Dieu Fils égal au Dieu Père, et qui introduit une troisième personne dans la nature divine, le Saint-Esprit, égale et consubstantielle aux deux autres. Ni l’Esprit ni même le Verbe n’ont encore dans cette doctrine la nature des deux personnes divines, s’ils en ont déjà la fonction. Pour en venir là, il a fallu tout le travail de la grande école chrétienne d’Alexandrie. Il est vrai que, pour échapper à cette conclusion manifeste de l’histoire, nos théologiens se réfugient dans la distinction entre la théologie et la philosophie chrétienne, de manière à pouvoir dire que c’est seulement cette dernière qui a subi dans son développement la loi de progrès des doctrines humaines, en s’inspirant des doctrines grecques. Cette distinction est sans fondement à l’époque théologique à laquelle on l’applique, car elle ne date que du moyen âge et des temps modernes. Là en effet on rencontre des théologiens, comme Anselme, Thomas d’Aquin, Bonaventure, Malebranche, dont la philosophie, si chrétienne qu’elle soit, ne peut se confondre pourtant avec la théologie proprement dite. Auparavant il n’y a que des théologiens mêlant plus ou moins la science profane à la science sainte dans ce grand travail d’exégèse qui a préparé les discussions et inspiré les décisions des conciles. Enfin quand, fermant les yeux à l’évidence, on écarterait du débat Platon, Philon, Plotin et la gnose, quand on nierait absolument toute influence directe ou indirecte des idées grecques sur le développement du dogme, il n’en resterait pas moins avéré que ce dogme n’était point fait d’avance, et qu’il est sorti laborieusement de l’exégèse féconde et vraiment créatrice des premiers pères et docteurs de l’église.

Telle est l’exégèse catholique. Partant de cette idée fixe, que le dogme est tout entier dans les Évangiles, sinon en formule, du moins en substance, elle trouve des textes obscurs, vagues ou non authentiques pour la thèse qu’il lui faut démontrer; elle les commente, les explique avec des idées préconçues, de manière à les mettre d’accord bon gré mal gré avec la doctrine orthodoxe. Cette méthode n’est pas propre à tel ou tel théologien ; elle est la méthode même de la théologie catholique, méthode commandée par la foi elle-même. Le théologien catholique peut être un érudit, un savant distingué, un penseur ingénieux; il ne peut être un libre esprit. La tradition enchaîne sa pensée et gouverne sa science. Si l’on veut se faire une idée des exigences de la discipline qui pèsent