Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/180

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rait une longue halte dans le Bas-Laos, et recevrait, quelques mois après son départ, les lettres attendues de Pékin.

Les résultats principaux qu’on attendait de l’exploration du Mékong se résumaient en quelques mots : il s’agissait d’abord de rectifier les cartes anciennes et d’apprécier la navigabilité du fleuve, par lequel on entretenait l’espoir de relier la Cochinchine française aux provinces occidentales de la Chine. Les rapides dont on connaissait l’existence étaient-ils un obstacle absolu, devait-on regarder les îles de Khon comme une infranchissable barrière ? Qu’y avait-il de vrai dans l’opinion de certains géographes qui, avec Vincendon Dumoulin, croyaient à une communication entre le Meïnam et le Mékong ? Recueillir des renseignemens sur les sources de ce dernier, s’il était impossible de remonter jusqu’à elles, résoudre les divers problèmes géographiques qui devaient naturellement se présenter, telle était la première partie du programme que la commission avait à remplir. On nous demandait en outre de rapporter des données générales qui pussent jeter quelque lumière sur l’histoire, la philologie, l’ethnographie, la religion des peuples riverains du grand fleuve appelé à rester autant que possible le fil conducteur de notre expédition. Nous avions pour instructions de chercher un passage de l’Indo-Chine en Chine, entreprise dans laquelle les Anglais ont toujours échoué jusqu’à présent. Il était essentiel d’ailleurs, depuis l’établissement de la France en Cochinchine, de bien connaître nos voisins du Laos, les ressources de leur pays et la nature de leurs rapports avec les puissances de l’Indo-Chine, dont on les savait vaguement tributaires. Aucune limite de temps ne nous était fixée, on ne nous désignait aucune voie de retour.

Le Laos, vaste région qui par le nord touche à la Chine et par le sud au Cambodge, passait à Saigon pour un des pays les plus malsains du monde. Les missionnaires qui de nos jours avaient essayé d’y porter l’Évangile étaient morts après peu de temps ou revenus gravement malades. À la suite de ces désastreuses tentatives, on avait renoncé à combattre le bouddhisme dans un des centres de sa puissance. Le seul voyageur laïque qui eût tenté récemment d’explorer ces contrées, notre compatriote Mouhot, était parti de Bangkok après avoir fait de nombreuses excursions au Cambodge, et n’avait rejoint le Mékong qu’au-delà du 18e degré de latitude, un peu au-dessous de Luan-Praban, où il n’avait pas tardé à succomber. Or Craché, le point extrême déterminé sur le Mékong par les hydrographes de la marine, est situé entre le 12e et le 13e degré. À peine à deux degrés de Saigon, les incertitudes commençaient donc pour la science géographique, que les tracés très inexacts du grand fleuve ne pouvaient qu’égarer. Le public