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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/188

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premier soin alors fut de parcourir les boutiques des marchands chinois afin de compléter notre chargement d’objets d’échange. Nous avions emporté de Saïgon des pièces de velours et de soie, quelques armes sans valeur, une véritable pacotille à laquelle nous ajoutâmes alors des cotonnades de toute couleur, de la verroterie, du fil de laiton. Outre les sacs de ticaux siamois, venus de Bangkok, notre trésor se composait d’or en feuilles et en barre et de quelques piastres mexicaines, le tout représentant à peine une valeur de 30,000 fr. La commission était formée de six membres[1], l’escorte de deux matelots et de deux soldats français, de deux Tagals des Philippines, choisis parmi les meilleurs de ceux qui sont restés à Saïgon après le départ des troupes espagnoles, et de six Annamites. Nous emmenions en outre un interprète européen qui parlait facilement le siamois, un interprète cambodgien et un interprète laotien. Celui-ci, ayant séjourné longtemps au Cambodge, connaissait la langue de ce pays. M. de Lagrée d’ailleurs était seul en mesure de s’entendre avec ces deux derniers. — Les Cambodgiens vinrent prendre congé de nous, et cherchèrent à nous dissuader de partir. Ces braves gens ne réussissaient point à comprendre quel intérêt pouvait pousser des étrangers demeurant au-delà des mers à entreprendre un voyage qu’aucun d’eux n’oserait tenter. Ils sont retenus par des récits fabuleux nés de craintes imaginaires. Le roi lui-même, dont les prédécesseurs étendirent leur domination sur une partie du Laos, ne sait rien de ce pays, si ce n’est que l’air et l’eau en sont mortels. Notre interprète cambodgien, jeune homme plein d’intelligence et de santé qui a vécu longtemps au milieu des Européens, recula lui-même effrayé au dernier moment. Il feignit une maladie, et l’on fut obligé de l’entraîner de force. Quant au Laotien qui nous accompagnait, il semblait joyeux de revoir son pays. Fils d’un marchand ambulant, il avait longtemps suivi son père à travers les montagnes et les forêts, couchant sous les arbres ou dans les pagodes, vivant du riz que les lois de l’hospitalité accordent gratuitement à tout voyageur. Un jour, au milieu d’une de ses courses, son père mourut. Il lui ferma les yeux et confia sa cendre aux bonzes d’un village, puis, continuant son voyage à l’aventure, marchant ou s’arrêtant suivant ses caprices, il finit par arriver à Bangkok, d’où il passa au Cambodge. Il avait appris la vertu des plantes pendant son séjour dans les forêts, il arrivait d’un de ces pays lointains, et par là même merveilleux, qui bordent le grand fleuve dans le voisinage du grand empire; il n’en fallait pas

  1. MM. de Lagrée, chef de l’expédition, Garnier, Delaporte, officiers de marine, Joubert et Therel, médecins de la marine, L,-M. de Carné, attaché au département des affaires étrangères.