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Page:Revue des Deux Mondes - 1869 - tome 80.djvu/217

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à combattre, mauvaise volonté ou insouciance à détruire, on ne prévoyait rien de tout cela. Tout fut tracé dans des proportions gigantesques. Le périmètre de la ville, tel qu’il résulte des plans conçus alors, suffirait pour une population égale à celle de Lyon ou de Marseille. Aussi exceptez les alentours du port, exceptez le groupe primitif auprès de la vieille église communale, et les maisons apparaissent éparpillées comme les navires dans la rade. Rien ou presque rien n’a été prévu pour hâter le mouvement de concentration, réduit à s’opérer lentement de lui-même.

Lorsqu’on se rappelle la confiance si générale qui régnait à l’origine, on se demande d’où sont venus les obstacles à la prompte consolidation de la cité, les embarras qui ont réduit à l’impuissance, quand elle s’est éveillée sur ce point, la bonne volonté de la population tout entière. Quoique multiples, les causes en sont faciles à saisir. Elles tiennent à trois ordres de faits curieux d’ailleurs à connaître : les opérations concernant les terrains, les interruptions imprévues dont le travail a été frappé, enfin l’état défectueux des ressorts de la vie locale.

A propos des terrains, on croit rêver, ce n’est pas trop dire, quand on se reporte à certaines transactions ayant eu les plus fâcheuses conséquences. Deux groupes principaux s’étaient formés pour les acquisitions. L’un embrassait une vaste superficie à proximité du chemin de fer et du bassin, et qu’on désigne sous le nom de terrains du bois Savary. L’autre s’appliquait aux terrains des Sables placés au bord de la mer, au-dessous de l’ancienne ville, loin du mouvement et des affaires, et qui ne pouvaient se couvrir d’habitations qu’en admettant la possibilité de créer une ville absolument distincte de l’autre. Les propriétaires des terrains composant le premier groupe étaient à même, lorsque survint le ralentissement des affaires, de supporter cette crise sans invoquer le secours d’une société par actions. C’était une affaire toute privée. Les terrains des Sables ont donné lieu au contraire à la création de trois sociétés successives dont l’existence a été bien courte. Dans des documens publiés au sujet d’une de ces associations, il y a quatre années à peine, en 1865, nous voyons que la compagnie se constituait avec un capital de 6 millions de francs. On l’a dit souvent, le papier souffre tout, et jamais il ne fut plus complaisant. Les plans étaient magnifiques. Église monumentale, théâtre somptueux, grand hôtel, halles, abattoir, lavoirs et bains publics, maisons de toute classe, rien n’y avait été mis en oubli. Ce que l’on avait négligé, c’était de se demander d’où viendraient les acheteurs et les habitans. On aurait eu besoin d’avoir sous la main 50,000 personnes campées sous des abris provisoires en attendant un loge-